Ch. 44 : Nouvelle vie

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Assise sur un fauteuil inconfortable, j'entends sans écouter le charabia médical de cet homme au visage disgracieux. Ses lunettes trop grandes qui lui tombe sans cesse sur le bout du nez, cette chemise à carreaux qui moule une bedaine proéminente, ce cheveux sur la langue qui laisse traîner les fins de mot comme la bave d'un escargot, tant de défauts qui m'agacent et m'empêchent d'être attentive à celui qui vient de m'annoncer ce que je redoutais. Le couperet est tombé, la lame tranchante de la guillotine m'a sectionné les deux jambes alors je laisse ce chirurgien de renom argumenté son diagnostique. J'abandonne l'idée de m'apitoyer sur mon sort et je focalise mon attention sur la suite logique à donner à tout ce merdier.

- Vous pouvez envisager une opération, s'entête-t-il a vouloir me sauver.

- Me permettra-t-elle de danser comme avant ? ripostais-je en connaissant déjà sa réponse.

Il hoche sa tête dépourvue de cheveux. Mon regard s'abandonne derrière lui, il traverse la vitre et s'oublie dans le paysage urbain, il se fixe au va-et-vient d'une circulation plus fluide et mes pensées se construisent, elles cheminent vers ce qui ressemble à une porte de sortie, une lumière au bout du tunnel dans lequel je ne dois pas m'éterniser.

Il poursuit avec le traitement adapté à cette déchirure qui désormais m'handicape mais étrangement je ne suis pas triste. Je ne suis pas dévastée par cette épreuve. Peut-être que ce soir-là, quand mon corps s'est affalé contre le sien et que la douleur a parcouru ma jambe, mon regard perdu dans le sien, j'avais compris. Mon inconscient avait fait le reste en rétablissant les connexion pour que j'avance dans la bonne direction, celle qui fera souffrir le moins de monde, celle qui m'oblige à m'éloigner définitivement de ce monde dans lequel je me suis épanouie toutes ces années.

- Vous devez gardez en tête que la douleur reviendra fréquemment. De ce fait ... assurez-vous d'avoir en permanence des comprimés d'avance. Ils ne vous soigneront pas mais vous soulageront suffisamment pour vous permettre de garder une activité régulière.

J'acquiesce. Que devrais-je ajouter à ça ? Rien probablement ... alors je lui tends la main. Elle disparaît dans la sienne et je m'incline légèrement ... surement par réflexe ... une vieille habitude qu'il va me falloir abandonner. Lorsque je passe la porte, le bruit crissant de sa chaise raclant le sol m'interpelle. Je m'arrête dans l'encadrement avant de me retourner sur le chirurgien dégoté par Woosung un peu plus tôt dans la matinée.

- Nous sommes d'accord que le secret médical vous oblige à ne rien dévoiler de mon état ?

- Bien évidemment, sourit-il pour la première fois.

- Alors je peux vous faire confiance ? Même mon ami ne sera pas mis au courant ?

- J'ai fait ce serment il y a bien longtemps mademoiselle ...

Je le remercie et m'éclipse dans cette salle vide où j'attendais quelques minutes plus tôt. Je m'apprête à poursuivre mon chemin vers la sortie mais la feuille froissée par terre attire mon regard. Je reconnais sans mal cet article que j'avais consulté et abandonné en espérant m'enfuir de cet endroit. Je m'en approche, m'accroupie pour le ramasser, je le replie avec précaution pour le replacer derrière cette table. Je souris nostalgique en imaginant une jeune personne venir le récupérer un peu plus tard ...

Le froid s'installe sur la ville et la bruine qui tombe depuis ce matin me glace jusqu'à l'os. Je referme mon manteau et hèle un taxi. Sur le bord du trottoir, je tends le bras pour me faire voir mais un homme a la primeur sur le premier véhicule qui stationne. Je rage de m'être fait devancé mais au moment de détourner les yeux pour chercher un autre chauffeur, je tombe sur un visage familier. Je m'ancre instinctivement à celui que j'ai rencontré quelques jours au paravent dans cet avion et qui m'avait tendu ce mouchoir en papier. Il demande au taxi de stopper sa course, il ouvre sa fenêtre et un sourire béat s'affiche sur son visage.

I got you BabeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant