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DINN

Karen est injoignable depuis deux jours, et d'après mon instinct - et aussi un peu à cause d'Alexia - je sais que c'est parce que sa mère l'a privé de sortie et de téléphone à cause de son piercing. Je sais qu'elle est disponible sur facebook où sur toutes les autres conneries de ce genre... oui, je viens bien de dire "conneries", ça va faire des siècles que je ne traîne plus sur ce réseau social. Ma mère me harcelait presque.

Mon père m'a rappelé mais cette fois encore j'ai été catégorique : je ne veux pas la revoir. Même si mon petit frère est aussi en cause, je trouverai un autre moyen pour le voir lui, et seulement lui.

Alexia et moi nous nous envoyons des messages pour trouver le moyen de faire revivre notre chère meilleure amie. Je connais son caractère et son tempérament et je sais que la cloîtrer chez elle est une très mauvaise idée justement. Je descends prendre un verre d'eau alors que je lis le message d'Alexia suggérant un kidnapping. Je pense qu'elle s'est cru dans un James Bond où quelque chose comme ça et sa bétise me fait rire. Je n'approuve pas non plus les décisions qu'Alexia prend en ce moment, surtout que ça me rappelle de terribles souvenirs, mais elle reste cool.

C'est lorsque je reviens dans ma chambre que j'entends le bruit d'un objet taper contre... je ne sais quoi. Je me concentre sur ce bruit et j'ai maintenant la certitude qu'il vient de ma fenêtre. Je me dirige vers elle, et quand je l'ouvre je suis à deux doigts de recevoir un caillou dans la gueule. C'est Karen.

- Tu t'es cru dans une comédie romantique où quoi ?

- Yeurk !

L'expression de dégout qu'elle affiche sur son visage me fait rire.

- J'arrive je viens t'ouvrir.

- Non attend, je vais escalader.

Je me demande vraiment ce qui cloche chez elle. Elle s'accroche sur l'arbre à proximité et se met à grimper, non sans difficulté. Et quand elle arrive au bout, je me recule pour la laisser passer.

Avec son jean déchiré noir, son large t-shirt gris et son chignon fait à l'arrache, elle incarne le "je-m'en-foutisme" intégrale, mais à mon avis c'est ce qui fait son authenticité, et c'est avant tout ce qui me plait chez elle.

- Oh mon Dieu j'ai faim, t'as quoi à manger ?

Je rigole.

- C'est le fait de rester enfermer chez toi pendant deux jours qui t'as dénué de toute politesse ? Ou bien c'est juste à cause de l'effort physique dû à l'escalade de ma fênetre qui t'as creusé le ventre ?

Elle lève un sourcil, l'air amusé.

- Je suis désolée mais je n'ai rien mangé ce matin parce que mes céréales étaient finies et je suis sûre que ma mère a fait exprès de ne pas en racheter, et là il est midi et j'ai la dalle.

Elle fait la moue.

- Viens, on va dans la cuisine.

Elle saute presque de joie, puis elle me suit dans la cuisine. Je ne sais absolument pas ce qui lui ferait plasir donc je lui propose de se servir elle-même. Comme je la vois sortir du pain mie-complet du placard, j'entreprends de sortir le jambon, le fromage et la mayonnaise du frigo. Quand elle voit la mayonnaise, elle imite un spasme vomitif.

- T'aurais pas de la moutarde plus tôt.

Ça me surprend parce que moi aussi je déteste la mayonnaise. Rien que de voir les gens en manger me dégoûte. Elle se prépare donc un sandwich à la va vite, et mord directement dedans. En effet, elle était affamée.

- Alors t'as fugée de chez toi ?

Elle souffle.

- Si tu savais comme ma mère est chiante.

Elle m'explique que malgré le fait que son père l'ait défendu en se portant coupable pour le piercing, sa mère se doute que ce n'est pas vrai, et maintient la punition. Elle affiche aussi une expression déçue quand elle rajoute que son frère est de son côté. Et je ne peux m'empêcher de me faire un sandwich à moi aussi. La punition est quand même raccourci à une semaine d'après elle. Elle soupire même de soulagement quand elle prend conscience qu'elle pourra profiter de la dernière semaine des vacances et précise que si elle se fait chopper en ce moment chez moi, adieu les vacances.

- Alors comment t'as fait pour venir ?

- Oh, je suis passée par la fenêtre... (Elle voit mon air de représailles) Je suis une vraie sportive, qu'est-ce que tu crois ?

Je lève les sourcils.

- Non, en fait je suis passée par la porte, parce que ma mère est partie rendre visite à ma grand-mère, elle va sûrement lui raconter à quel point je suis agaçante. Ce qui fait que l'on a environ trois heures devant nous. Mais je suis quand même une grande sportive.

Je souris. Ouais, elle est assez douée en athlétisme je dois l'avouer.

- Ok, tu veux faire quoi ?

Elle se lève et range ce qui nous a servi pour les sandwichs.

- T'as quoi comme film ?

Elle n'attend même pas que je lui réponde qu'elle est déjà en train de prendre des Maltesers, des M&M's et des Snickers dans mes placards.

- Désolée, le sandwich n'était pas suffisant, et je n'ai pas eu ma dose de chocolat journalière. Ne me demande pas pourquoi, c'est ma mère.

Je ris. Putain cette fille est incroyable.

- Bon, on va se le voir ce film ?

Elle a les bras chargés et se dirige déjà dans ma chambre.

Nous sommes déjà à la moitié de Insaisissables et Karen a sa tête posé sur mon épaule. Faisant parfois des commentaires ou citant des répliques en caricaturant la voix des personnages, elle est complètement plongée dans le film.

Quelques minutes plus tôt, elle avait fouillé sur mes étagères, et j'avais été impressionné par sa culture cinématographique, elle semblait tous les connaître et les inspectait minutieusement.

- Tu regardes beaucoup de films ? je lui avais demandé.

- Hum... ouais.

La tête toujours plongée dans mes étagères.

- Ah, je veux celui là, elle avait conclus.

Et franchement, je n'aurais pas pu faire meilleur choix.

Maintenant, elle ne parle plus. Plus calme que jamais, sa respiration régulière se cale à la mienne, ses cheveux bouclés me chatouillent la joue, et je ne peux m'empêcher de la regarder. Jusqu'à ce que soudainement elle lève la tête. Dans ses yeux je peux voir de la panique.

- Il est quelle heure ?

Je vois parfaitement où elle veux en venir alors je me dépêche d'attraper mon portable à côté de moi.

- Quinze heures trente.

Et là on dirait que sa panique double de volume.

- Merde, il fait que j'y aille.

Elle se lève rapidement, enfile ses chaussures, et se dirige précipitamment hors de la chambre, sans que j'ai eu le temps de l'accompagner. Puis, quelques secondes après, elle revient.

- T'inquiètes, on va le finir ce film.

- La fenêtre est toujours ouverte si tu veux.

Elle me fait les gros yeux, puis s'en va.

Par la porte.

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