Moi et les gendarmes

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Putain !Putain de merde !Les gendarmes sont passés chez moi ce soir.


Pour une enquête de proximité.

J'ai entrouvert la porte pour voir qui était le pénible qui venait sonner chez moi après dix-neuf heures – je ne reçois jamais personne à la maison, même pas Mirabelle : nous allons toujours chez elle ou à l'hôtel – et là deux gendarmes se sont présentés. J'ai failli gerber sur leurs godasses crantées tellement j'ai eu la trouille. Mes pieds ont commencés à se soulever du sol et le cendrier sur le guéridon derrière moi vibrait. J'ai passé au moins trois minutes à me calmer en essayant de maîtriser mon pouvoir qui partait en sucette sous l'effet de la terreur.

Le temps que je comprenne que c'était pour une enquête de routine et que ce n'était pas vraiment pour moi qu'ils étaient là, c'était trop tard. Le mal était déjà fait. Pendant ces trois premières minutes j'ai eu un mal fou à me concentrer sur ce qu'ils me racontaient. J'ai bredouillé ; j'étais complètement à côté de la plaque. Forcément, je leur ai paru suspect.Au bout d'un certain temps je me suis tout de même repris en main. Ils étaient venus sonner chez moi parce que mon voisin – ce crétin d'André – venait de se faire refroidir. Il était rentré à la maison un peu plus tard que d'habitude et s'était écroulé sur le tapis du salon, le ventre ouvert et la bouche en sang. Il n'a eu le temps de rien dire à sa femme ni à ses gosses avant de clamser sous leurs yeux. Meurtre mystérieux donc, puisque visiblement il venait de succomber à des blessures causées par un très long objet tranchant et contondant selon les premières constatations.


Du coup les flics faisaient le tour du voisinage pour savoir si quelqu'un avait remarqué quelque chose de particulier ou avait vu ou entendu quoi que ce soit – genre un promeneur avec un couteau de charcutier à la main ?


En regardant vite fait par dessus l'épaule d'un des gendarmes j'ai vu les lumières bleues de l'autre côté de ma porte d'entrée. C'est là que je me suis rendu compte qu'ils étaient tout un bataillon avec camions, voitures, gyrophares et lampes torches à la main en train d'inspecter ma pelouse et celles des autres résidants du quartier. Je me suis alors félicité de l'efficacité de mon double vitrage et des épais rideaux qui me cachent du monde extérieur. Ça m'a un peu rassuré et je me suis dit que si tout ce vacarme ne m'était pas parvenu depuis qu'ils étaient là à fouiner dans la rue Louis Jouvet, je pouvais donc supposer que personne au dehors ne pouvait être en mesure de m'espionner efficacement. J'aime bien être tranquille à la maison.


Au fur et à mesure qu'ils me posaient leurs questions, je suis peut-être passé un peu trop vite au stade de soulagement. Ça aussi ils ont dû le voir dans mon comportement et j'ai même dû leur raconter des conneries sur le coup de l'émotion parce qu'ils levaient régulièrement les sourcils pendant l'interrogatoire. En tout cas ils notaient tout ce que je disais sur un calepin : ce que j'avais fait cet après-midi, où est-ce que je travaille, à quelle heure je suis parti du bureau, comment je suis rentré, avec le bus de quelle ligne et de quel horaire, ce que j'ai fait chez moi entre dix-huit et vingt heures, c'était quoi le nom de la série sur Netflix, combien d'épisodes j'avais regardés, si ça m'avait plu et quelles relations j'entretenais avec André et sa famille.


Après toutes ces questions les gendarmes sont quand même partis au bout d'un quart d'heure après m'avoir demandé mon numéro de téléphone portable au cas où. Au cas où quoi au juste ? Au cas où ils aient l'intention de me surveiller, de revenir et de mettre leurs sales pattes dans mes placards ? Je suis irréprochable.

Super Vilain ~ version WPOù les histoires vivent. Découvrez maintenant