Moi à la campagne

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Hier on était vendredi. À la sortie du taf, j'ai fait comme d'habitude : j'ai vérifié si les parents Eisenduler étaient dans les parages pour leur crise habituelle de fin de semaine. Depuis quelques temps ils ont limité leurs scandales sur la voie publique et ils ne m'attendent plus en guet-apens un jour sur deux mais seulement le vendredi. J'ai bon espoir qu'ils finissent par se lasser et enfin de foutre la paix.

Mais hier, à la place du couple de militaires à la retraite, c'est ce trou du fion de journaliste Sosnowski qui m'attendait en planque à l'arrêt de bus.

Comme de par hasard il était juste là au bon moment. Et comme de par hasard ça tombait bien puisqu'il avait tout un tas de nouvelles questions à me poser à propos de Mirabelle. Il voulait savoir en particulier pourquoi elle et moi on avait passé autant de temps dans les casinos des côtes bretonnes et normandes durant les quinze mois de notre relation. Et aussi comment je pouvais avoir assez d'argent pour payer tous ces voyages et ces restaurants et ces nuits d'hôtel alors qu'aucun mouvement n'apparaissait sur mon compte courant pour régler ces dépenses.

J'avais bien envie de lui répondre que j'étais tenu au secret bancaire de par mon métier, mais j'ai préféré faire semblant de ne pas l'entendre et regarder droit devant moi vers les quais en attendant le bus. Il y avait pas mal de monde à attendre à cette heure là et je me disais que si je l'ignorais avec assez de conviction, les gens croiraient que j'étais victime d'un psycho-débile comme ça arrive parfois. Je veux dire : dans n'importe quelle ville du pays, il y a toujours un paquet de tarés illuminés qui tiennent la grappe à de parfaits inconnus et font leur petite crise de paranoïa en public. Je me suis d'ailleurs toujours demandé comment ça se faisait que de tels énergumènes soient en liberté. Il y a pourtant tout un tas de services sociaux à la con qui sont censé les gérer, non ? Alors que font les éducateurs de l'aide sociale, les organismes de tutelles, de curatelles, les hopitaux de jours, les centres socio-éducatifs et toutes ces conneries de services publics de mes deux ? Ils se touchent les rouleaux à longueur de journée et ils laissent les tarés en liberté ?

Bref.

Le bus est arrivé et ce connard est monté et s'est assis à côté de moi. Il a sorti son calepin et il s'est mis à énumérer tout un tas de faits divers arrivés aux alentours de la rue Louis Jouvet depuis l'époque où j'y habite. Il a pas mal insisté sur l'accident fatal qui est arrivé à l'ancienne propriétaire de ma maison quelques mois avant que je l'achète. Il m'a aussi lu le témoignage de l'agent immobilier qui me l'avait vendu. Il voulait savoir pourquoi j'avais accepté d'acheter un bien dont personne ne voulait. Et aussi pourquoi j'avais choisi exprès un quartier connu pour être habité uniquement par des retraités. Et comment je m'étais débarrassé de la puanteur infecte qui régnait dans la maison alors que les héritiers de la vieille et l'agence immobilière n'avait jamais réussi à dissiper ce mystère. Et enfin, si j'avais quelque chose à voir avec ce mystérieux accident mortel.

Comme je ne répondais toujours pas, il m'a précisé que ce n'était pas très grave. Que de toute manière, il avait expédié sa liste de questions à Monsieur Stanley Besnard, juge d'instruction près le Tribunal de Grande Instance de Saint-Quentin. Que donc, tôt ou tard, je devrais répondre de mes actes devant la justice.

Arrivés à l'arrêt Parc Raimu, nous sommes tous les deux descendus et nous avons marché en silence l'un à côté de l'autre. Je suis entré dans ma maison et lui dans sa Citroën.

C'était super pénible.

Je ne sais pas du tout si je dois tuer ce type tout de suite ou non. Je veux dire : il commence à savoir pas mal de trucs à mon sujet – et la plupart sont vrais – et si c'est vrai qu'il envoie ses notes au juge et aux gendarmes, il va finir par sérieusement me mettre dans la merde. Sauf que s'il disparaît maintenant, ça paraîtra quand même super chelou.

Super Vilain ~ version WPOù les histoires vivent. Découvrez maintenant