Numéro 515 – Guichet 6
Je lorgne sur le panneau d'affichage électronique qui reste bloqué sur ses chiffres depuis maintenant sept minutes.
Sept. Minutes.
Ça semble dérisoire, sept minutes.
Sept minutes, c'est le temps que je mets pour aller de chez moi à la boulangerie, aller-retour, à pied, en prenant soin de compter mes pièces et de les poser délicatement sur le bord du comptoir de la boulangère – je ne donne jamais l'argent de la main à la main : je déteste toucher les gens.
Sept minutes, c'est aussi la période que je passe à chercher mon porte-monnaie avant de sortir de chez moi pour me rendre à la boulangerie. Des fois un peu plus, le temps de me rappeler où j'ai bien pu fourrer ma bourse à bigaille. Souvent, je la range dans la corbeille à foutoir sur le buffet près de la porte d'entrée de chez moi, mais parfois, je la pose n'importe où et je suis incapable de m'en souvenir. Et ça me prend un temps fou pour la retrouver et du coup ça me met en rage et alors je marche vite pour aller à la boulangerie et je serais capable de massacrer tous les gosses de tous les voisins que je croise et qui crient et qui font les guignols sur leurs petits vélos sans même regarder où ils roulent – une fois sur deux sur le trottoir où je me trouve – et quand je pénètre dans la boutique, je n'ai même plus envie d'acheter des viennoiseries et je lance des regards noirs à l'apprentie qui est mignonne mais grosse mais à peu près sympa.
Sept minutes, c'est le temps exact qui vient de se dérouler depuis la dernière fois que le panneau d'affichage électronique a changé de numéro.
Je suis dans le hall d'accueil de la CPAM.
En tant normal je n'aurais rien à foutre ici : je ne suis jamais malade et je refuse d'avoir recours à cet organisme de collecte d'informations personnelles.
Quand j'ai commencé à bosser dans ma boîte, j'ai donné une fausse identité à la DRH en espérant que ça passe crème dans son bordel administratif. Tu penses bien qu'une têtue comme cette vilaine Rose-Marie n'a pas lâché l'affaire. Elle m'a harcelé pour que je lui donne tous mes papiers d'identité. Elle m'a même inscrit de force à une mutuelle professionnelle alors que je n'en voulais pas !
Un jour, je la tuerai pour tous ses péchés.
Mais en attendant, je dois venir déposer au guichet une liasse de papelards à la con pour ma frangine. Parait-il, je lui dois bien ce petit service. En plus tout les autres membres de la famille sont occupés par les préparatifs de Noël. Mes parents, son mari et mes nièces ont décidé d'un commun accord de faire une descente collective à l'Ikéa de Sordyds-sur-Yvette (le seul Ikéa du département). D'après ce que j'ai compris, ma soeur Magali s'apprête à changer de maison. Celle où elle habite en ce moment lui rappelle trop sa maladie et elle en a marre des mauvais souvenirs. Du coup elle veut changer de cadre pour son nouveau départ dans la vie. Elle commence à me faire chier depuis qu'elle est guérie. Elle n'arrête pas de répéter à qui veut l'entendre qu'elle ne veut plus passer à côté des machins importants de l'existence : sa famille, ses enfants, ses amis, le bonheur de tous ses proches et autres conneries. Elle a l'intention de revenir à des vraies valeurs humaines ou je ne sais pas quoi : la nature, l'élevage de chèvres, le bio, le sans-viande.
Je ne suis pas un expert, mais il me semble que d'habitude on achète des meubles et des bibelots après avoir déménager. Pas avant. Ça n'a aucun sens.
Bon. Je sais qu'elle et son mari sont particulièrement cons, mais là, ça frise l'ineptie la plus totale. J'espère juste qu'elle n'envisage pas de se servir de ma maison comme garde meuble pour stocker toutes ses saloperies. Déjà que j'ai accepté de venir déposer son putain de dossier à la sécu : il ne s'agirait pas non plus de me prendre pour un jambon et d'abuser de ma patience.
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Super Vilain ~ version WP
ParanormalJe m'appelle Didier. Je suis un surhomme. Dans la vraie vie d'un super-vilain, le plus difficile n'est pas d'échapper aux héros ou aux flics. Mais plutôt de faire face au quotidien. Didier a des pouvoirs d'une puissance terrifiante. Hélas pour lui...