Moi au téléphone

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— Allô ? Rose-Marie ? Bonsoir, c'est Didier. Ouais, ça va. Enfin, non : ça va pas du tout en fait. Non, pas malade. Non, je ne suis pas allé voir le médecin. Non, je vais bien ! Enfin, je ne vais pas bien, mais je suis pas malade. Arrête ! Écoute-moi. Rose-Marie ! Ta gueule : laisse-moi parler. Oui. Oui. Je sais. Pardon. Je voulais pas te dire "ta gueule". Oui, je sais : le respect, tout ça. Bon, ce que je veux dire, c'est que je crois que j'ai besoin de vacances. Oui, là tout de suite maintenant. Non, ça peut pas attendre la semaine prochaine. Je sais, les fiches, le process, le tableau de service, tout ça. J'avais pas prévu. Il m'est arrivé une grosse tuile en fait et... Non, je préfère pas t'en parler. Non, vraiment. C'est personnel. Non mais oui mais bien sûr que j'ai confiance en toi et que tu es là pour m'aider. C'est juste que là, c'est vraiment compliqué pour moi. Du coup, est-ce que tu penses que tu pourrais genre, gérer pour des jours de congés. Allez, steplait ! Je t'ai jamais rien demandé. Hein ? Comment ça je me fous de ta gueule depuis des années ? Je vois... je vois pas le rapport. Comment ça je te "ghoste" ? Je vois pas où tu veux en venir. Te... Ah bon ! Euh. Non, ça m'étonne que tu penses ça à vrai dire. Ben en fait, c'est pas vraiment que j'essaie de t'éviter. C'est plus parce que euh... j'ai du respect pour ton poste ? Pour toi, je veux dire. Pour ta fonction. Enfin, pour toi quoi ! Oui, à titre personnel. Non mais... Mmm... Un verre pour en parler ensemble ? Ok. Pourquoi pas à l'occasion. Non, pas demain après-midi ! Je t'ai dit que j'ai des ennuis là ! Je t'appelle pas à onze heures du soir pour des cacahuètes non plus. Comme tu dis : sur ton numéro perso en plus. Euh... je l'ai eu... Tu me l'avais donné, non ? Enfin, je l'ai pas inventé quand même. Si je t'appelle sur ton numéro perso c'est parce que tu as bien dû me le donner à un moment ou un autre. Genre, tu sais, au début ? Quand on se fréquentait un peu après notre embauche. Enfin je dis "fréquentait" comme j'aurais pu dire autre chose. Ne change pas de sujet, s'il te plaît. Oui. C'est ça. Je t'appelle tard, le soir parce que j'ai besoin de te donner une information importante qui ne peut pas attendre demain matin. Voilà. Pour te dire que : je veux bien que tu me gères une fiche de congés payés pour quelques jours, comme ça, en urgence au pied levé, parce qu'il m'arrive une tuile et que j'ai besoin d'un peu de temps pour moi. Parce que je ne serai pas en état de travailler correctement tant que je n'aurai pas fait face à ces... problèmes ? Ok. On s'en fout de mes dossiers ! En plus je suis à jour. Oui, la candidature, je sais, je sais. On verra ça quand je rentrerai. Non, je ne dis pas ça "encore" en l'air comme "d'habitude". Oui. Oui, d'accord : je te promets de t'envoyer ma candidature au poste de responsable du pôle recouvrement amiable dès que je serai rentré de vacances. Si on peut appeler ça des vacances. Mais non, je ne suis pas sarcastique. Allez, s'il te plaît ! Je vais pas me mettre à genoux non plus. Enfin, tu me connais depuis le temps : si ce n'était pas genre, super grave, je t'aurais jamais appelé. Sur ton numéro perso en plus. À onze heures du soir... Comment ça autre chose à te dire ? Bah, non : c'est tout. Une fiche de congés pour disons deux semaines. Bon, ok : une semaine. Ben euh : merci ? Ça cache rien du tout. Non, rien à voir. Ni avec Mirabelle non plus. Quoi ? Gérald ? Il t'a dit quoi ? ... Mais ! Alors là ! Il a pété un plomb, non ? Mais... N'importe quoi ! Totalement faux ! Je vais pas t'apprendre ton métier, mais tu as bien dû remarquer que ce type avait des problèmes dans sa tête, non ? Oh ben si ! Quand même ! Entre nous, Rose-Marie : Gérald, il est un peu con-con. Si. Si, si, je t'assure. Ben déjà rien que l'histoire avec sa femme. Et puis son obsession pour les putes slaves. Oui, je suis au courant; qu'est-ce que tu crois ? Oui, j'entretiens des relations "amicales" avec certains de mes collègues de travail. Non, pas toi, puisque tu es ma cheffe. Oh c'est tout comme, hein. En tout cas, moi je te considère comme une sorte de supérieure hiérarchique. Bah, voilà. C'est pour ça. Tu as ton explication. Ah ben... Si ! Tu es directrice quand même. Ah bah ça compte : le respect dû à la fonction, le titre tout ça. Désolé, hein ! Moi je te considère avant tout comme une responsable gradée et pas comme une femme. Non, attends, c'est pas ce que je voulais dire. Enfin, si un peu. Non ! Arrête ! Mais si, bien sûr que je te vois comme une femme. Une belle femme. Mais c'est quoi cette question ? Tu débordes un peu du cadre, là, non ? Je sais pas. C'est comme ça. Non, je ne me suis jamais posé la question. Non. Vraiment. Même après tout ce temps. Comment ça les expériences communes ? Quelles expériences communes ? Oh ouais mais ça compte pas vraiment, si ? Et puis c'était il y a quoi ? Sept ans ? Huit ans ? Ah. Ah seulement ? J'aurais pas dit. Dans mes souvenirs c'était il y a plus longtemps tu vois. T'es sûre ? Il y a deux ans ? Vraiment ? Non, parce que des fois le temps passe vite et on a l'impression que c'est récent et en fait ça fait beaucoup plus longtemps que... Oui, bon, on était un peu pompette, non ? Moi, si. Je suis sûr que je devais pas être dans mon état normal. La preuve, je m'en souviens presque pas. Ah bah ça tu vois : c'est bien la preuve ! Je déteste les massages des pieds. Si j'avais été sobre, je ne me serais jamais embarqué dans un truc pareil. Surtout avec toi. J'ai jamais dit ça ! Mais tu le sais en plus que tu es jolie. Tout le monde te le dit du coup ça sert à rien que moi je le dise aussi. Je veux dire : c'est une évidence. Si je te disais que oui, je trouve super jolie, ça n'apporterait rien de concret. J'aime pas les platitudes, c'est tout. Non. Les platitudes. C'est pas ce que j'ai dit, Rose-Marie. Non, en plus, ce que tu ne sais pas à mon sujet c'est que justement j'aime bien les petits... Rose-Marie ? Tu es saoule ? Non, comme ça. Je trouve que la conversation est bizarre, c'est tout. On s'éloigne un peu du sujet, non ? Oui. Oui. Oui. Non, non, non. Parce que ! Il est tard ! Et tu bosses demain matin. Et moi j'ai un tas de trucs à faire. Des trucs perso, je t'ai dit. Non, je peux pas t'en parler. Quoi ? Mais c'est du chantage ! Si, je t'assure : c'est du chantage. Moi, j'appelle ça comme ça en tout cas. Tu fais chier ! Excuse-moi te le dire, mais là, tu fais chier. Si on ne peut plus compter sur ses meilleures camarades de boulot quand il est question de choses graves. Oui, c'est assez grave. Oui, meilleure camarade. Non, pas copine. Pour ça il faudrait qu'on se connaisse un peu mieux. Je t'ai déjà dit : il y a une sorte de barrière psychologique entre nous. T'as étudié la psycho, non ? Ca fait partie de la DRH. Bon, ben tu as des notions dans ce cas. Je sais pas. Je peux pas l'expliquer. Hein ? ... Ah. Moi j'y crois pas de toute manière à ces trucs de psychomachin. C'est flatteur, c'est sûr. Oui, quelque part ça me fait plaisir que tu me dises ça mais... Ouais. Peut-être. Si un peu. En tout cas oui, physiquement, je peux pas le nier, tu m'... Ah ben ça compte quand même le physique. C'est même un peu la base du... Ah. Ben euh, c'est gentil. Merci. Écoute : franchement, je ne sais pas. Je me dis juste que je préfère pas. Pas pour l'instant en tout cas. Peut-être qu'un jour, dans d'autres circonstances. Ma vie, elle est trop compliqué en ce moment. Tu ne sais pas tout à mon sujet. Oui. Mmm. Ça aussi c'est vrai. Non, vraiment, j'ai pas l'esprit libre. C'est une question de... je sais pas moi : de disponibilité d'esprit ? Si on s'embarquait dans un truc comme ça, maintenant, je trouve que ça serait du gâchis ! Ouais : du gâchis. Je me connais, je ne m'occuperais pas bien de toi, je passerais à côté de plein de trucs et toi tu ne verrais que mon côté nul et horrible. Je sais pas. Un jour. Peut-être. Mais moi aussi je t'aime bien. Beaucoup, si tu veux. Oui, en vrai. Ouais, d'accord. Ok. J'ai dit d'accord. Je sais pas. Quand j'y verrais un peu plus clair ? Non, pas ce week-end. Non, pas celui d'après non plus. Plus tard. Je te ferai signe. Oui. Promis. Si ! Je le jure. C'est bon ? Du coup tu peux me gérer cette histoire de congés ? Super ! Merci beaucoup, Rose-Marie. C'est parfait. Ok. Oui, si j'ai besoin de toi pour parler, je t'appelle aussitôt. Même tard la nuit. Même les jours fériés. Pas de problème. On fait comme ça. Bonne nuit. Oui. À très bientôt. Oui, c'est ça. Bisous aussi.

Connasse ! 

Super Vilain ~ version WPOù les histoires vivent. Découvrez maintenant