Moi en RTT

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Aujourd'hui, c'est vendredi matin et c'est encore RTT. Et il est genre même pas neuf heures et je suis déjà réveillé.

Je veux dire : j'aime bien mes petits rituels. Le jeudi quand je ne travaille pas le lendemain, c'est à dire une semaine sur deux, je reste tard à regarder des vieux films d'horreur des années quatre vingt. C'est un peu une sorte de revanche sur la vie. Quand j'étais môme, je n'avais pas le droit de regarder des films tard le soir et encore moins de regarder des films d'horreur. Ma mère prenait grand soin de respecter scrupuleusement les directives de ses propres parents en matière d'éducation. Ma mère est folle, mais c'est surtout parce qu'elle a été élevée par mes grands-parents qui sont les pires crapules de l'univers. Et pour une raison inconnue, tous les membres de ma famille ont encore aujourd'hui une trouille pas croyable de cette paire de monstruosités. Ils doivent avoir pas loin de quatre-vingt-dix ans mais ils ont gardé la même vigueur qu'à l'époque où ils jouaient en culottes courtes dans les rangs de la Stasi. Je n'ai jamais compris pourquoi personne n'ait tenté de les assassiner. En tout cas, une chose est sûre, je m'en chargerai personnellement un jour où l'autre. Il est hors de question que des enfoirés comme mes grands-parents meurent de leur belle mort dans leur lit entouré de domestiques. Parce qu'en plus, ils sont pétés de thunes. D'ailleurs c'est peut-être pour cette raison que tous les oncles et tantes, y compris ma mère, leur font de la lèche; ils espèrent secrètement avoir un bonus au moment de l'héritage. Quoi qu'il en soit, tous leurs petits-enfants et arrières petits-enfants, moi inclus, ont subi la même éducation de bâtard : pas de jeux vidéos, pas de télé après vingt heures, école privée et catéchisme imposés jusqu'à l'âge de la confirmation et obligation de perpétuer la tradition pour les siècles des siècles. Je déteste les grands-parents catholiques.

Quand j'ai eu dix-neuf ans, la première chose que j'ai acheté avec mon tout premier salaire quand j'étais encore étudiant, c'était une télé que j'ai installé dans ma chambre. J'avais décroché un boulot d'été à la sécurité sociale : un truc bien lourd qui consistait à ranger les quarante derniers millions d'années d'archives de dossiers médicaux de tous les trous du culs résidants dans le département; ça a duré deux mois et comme j'avais très vite constaté que tout le monde s'en fichait des vieilles archives, j'avais inventé un système de classement totalement cryptique et incompréhensible. À la fin de l'été, comme les cartons étaient bien rangés sur les étagères et qu'il n'y avait plus de piles de dossiers en train de moisir dans les recoins du sous-sol de la CPAM, on m'a félicité et on m'a offert un stylo Waterman. Avec mon deuxième salaire, celui du mois d'août, je m'étais acheté un magnétoscope pour le brancher à la télé. Depuis, je rattrape mon retard et un jeudi sur deux, c'est films d'épouvante jusqu'à pas d'heure dans mon canapé. Et le vendredi, je dors.

Mais pas aujourd'hui. Ce matin, je suis tiré du lit par un vacarme assourdissant.

Pour une raison inconnue, il y a une bagnole garée juste en dessous de la fenêtre de ma chambre, le moteur allumé et qui n'arrête pas de klaxonner. Quand je finis de sortir totalement de mon sommeil, je m'aperçois aussi qu'on tambourine en continu contre la porte d'entrée de mon domicile.

J'ai coupé la sonnette, parce que j'en avais marre des journalistes et de la flicaille qui n'arrêtent plus de m'importuner depuis quelques jours.

Je balance ma couette loin de moi et cherche mes charentaises. Je m'approche des stores, les lève un tout petit peu pour savoir de quoi il en retourne et je découvre les parents de Mirabelle en train de tenir un siège devant chez moi.

Bordel de merde ! Ils ont réussi à dégotter mon adresse par je ne sais quel miracle. La darone est au volant et elle s'excite sur son klaxon, tandis que le paternel gueule à tout va et montre du doigt l'interstice par lequel je l'observe.

Super Vilain ~ version WPOù les histoires vivent. Découvrez maintenant