Moi et les vieux dossiers

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En faisant un peu le ménage à la maison ce weekend, je suis tombé sur une autre pochette que j'avais oubliée de ranger dans mes cartons.

En épluchant le dossier de l'homme-torchon, j'ai eu un petit pincement au cœur. C'est une de mes histoires de surdoués préférées. Sur le coup, j'ai voulu prendre la voiture et aller déposer ce dossier avec les autres dans le pigeonnier. Mais je me suis dit aussi tôt qu'il ne valait mieux pas.

En réalité cette habitude de découper et de collectionner des dossiers de phénomènes étranges joue en ma défaveur. Je dois abandonner ce petit plaisir. Il faut que je me concentre sur ma propre sécurité. Si je ne fais pas attention, je finirai par commettre une erreur irréparable. Si je suis trop attaché à ce genre de détails, je vais me créer une routine dangereuse : acheter Synesthésia, découper un truc palpitant, prendre la voiture, aller trop souvent à ma cachette et me faire gauler comme un âne. Je ne dois aller au pigeonnier qu'en cas d'extrême urgence.

Pareil pour les questions de fric. J'ai décidé d'un montant d'argent liquide maximum à avoir à la maison. Un montant que je pourrais expliquer en cas de contrôle. Pas une somme faramineuse comme avant. J'ai calculé qu'avec 18 760 euros en espèces, je peux couvrir la plupart de mes besoins exceptionnels sans avoir à rendre de compte à personne. De toute manière, au pire, je peux toujours dire que c'est mon argent de poche que je gagne des fois au casino.

Mais je n'ai plus envie d'aller au casino. Je veux dire : je n'ai plus aucun goût à aller loin, dans une ville d'eau le weekend pour tricher et ramener des petites sommes en liquide. Sans Mirabelle et son excitation communicative, ce n'est plus pareil. J'ai essayé l'autre jour d'y aller seul, mais je me suis fait chier. Je veux dire : c'est devenu un réflexe pour moi. Miser, perdre, gagner, calculer un gain total pas trop haut pour ne pas éveiller les soupçons. Même la thalasso, les restau, les promenades au bord de la mer, les cocktails et les jolies filles en tenue de soirée, ça me fait plus trop marrer.

J'ai relu une dernière fois l'histoire de l'homme-torchon et j'ai tout déchiré en tous petits morceaux que j'ai disposé dans trois sacs poubelles différents que j'ai l'intention de répartir dans trois containers de recyclage différents en ville.

Même les mesures de sécurité extrêmes finissent par m'ennuyer. Avant, j'éprouvais une certaine forme de plaisir à me dire continuellement que tout ce que je faisais, chaque réflexe de protection, de discrétion était en fait un moyen de les piéger et de me moquer d'eux. C'était une sorte de jeu. Maintenant je sais que "eux" ne sont que de gros blaireaux. Ils ne sont pas des genres de super-héros très forts ou très intelligents. Ce sont juste des quidams chiants et nuls. Des types comme le juge d'instruction Besnard, le gendarme Ziller, le journaliste Sosnowski, Monsieur et Madame Eisenduler. Juste des blaireaux.

Je repense à ce pauvre gosse de l'article avec ses pouvoirs trop grands pour lui. S'il y a une vraie menace pour les gens comme nous, cette menace n'est pas à la hauteur de nos capacités extraordinaires. Elles sont simplement de dimensions humaines. Normales. Communes. Sans aucune sorte d'héroïsme ou de dilemme épique. Des menaces toutes pourries en fait.

Il s'appelait Alexis, un prénom nul qui en disait déjà long sur ses parents et la vie qu'il avait dû endurer durant ses premières années.

Comme la plupart des "personnes spéciales" il avait découvert ses pouvoirs à l'âge des premières pollutions nocturnes.

Lors d'une partie de cache-cache avec des gosses de son école chez qui il avait été invité pour une fête d'anniversaire, Alexis avait voulu se dissimuler dans une espèce de placard à linge de maison, un genre de petite armoire sculptée en massif vendéen héritée d'un aïeul un peu cul-cul. Une photo de l'article illustrait le meuble : tout à fait le genre de mobilier vieillot et moche que j'exècre.

Super Vilain ~ version WPOù les histoires vivent. Découvrez maintenant