Prologue

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D

Moi, la pluie d'été, et leurs tombes.

Leurs tombes perdues au milieu de celles des autres, des générations de villageois qui s'empilent autour d'eux dans la masse de la terre, tout juste bons à servir de pitance aux vers.

Toutes ces tombes identiques, soigneusement alignées à la lisière du bosquet ouest, où reposent des familles entières d'indifférents et d'oubliés. Aucun héros ne dort sous l'herbe trempée, car aucun de ceux qui partirent, qu'ils aient été Chasseurs ou Chaperons d'autrefois, ne se sentirent assez minables pour venir écrouler leur corps ici, comme le font tous ceux qui, en plus de leur mort, enterrèrent leur vie entière derrière les remparts étouffants de notre communauté.

Les Diplômés qui revinrent, pour passer leurs vieux jours dans la maison de leur enfance, par nostalgie mais bien plus souvent par sens du devoir, eurent tous, sans exception, leur place dans le jardin de l'académie.
Comme le dit Rolf, il ne faut pas s'étonner que les magnolias y poussent si bien avec un engrais pareil.

Les héros ont le droit à un arbre à leur nom planté dans le parc, à une plaque commémorative, à une page consacrée dans les archives du Village, même pour ceux qui n'ont rien accompli de grandiose. Tous, ils ont le mérite d'être partis un jour, d'avoir dépasser nos frontières, pour des raisons des plus futiles aux plus cruciales. Tous, ont incarné le dévouement le plus profond à la Voix des Mères-Grand.

Je ne suis pas près des bâtiments de l'académie. Je suis dans le cimetière des anonymes qui se répandent sans bruit sous le couvert de quelques chênes.
Je suis devant la tombe de mes parents. Une Chaperon et un Chasseur qui voulaient se faire oublier, dont l'Administration ne voulait, de toute façon, pas se souvenir.

A genoux devant la dalle de granite, cette dernière ne me communique que des échos vident. Cette comédie m'agace, le recueillement ne m'apporte aucun repos, aucun récomfort. Sous cette pierre, il n'y a que le néant.

"Raniero&Tanja Felisica

Reposez en paix"

Seulement le néant. Les souvenirs dans ma tête sont des aiguilles de douleur, que je ne peux m'empècher de rappeler.

Il y a trois ans, peu avant le trépas de ma mère, leurs mots s'étaient mis à assister mes lectures. Ils me racontaient quelques bribes de mémoire, sur l'extérieur, sur le Monde Aveugle :

Le jour de leur départ, âgés respectivement de dix-sept et dix-neuf ans, ils se sont jurés de ne plus jamais revenir. Mon père était le second fils d'une branche auxiliaire de la lignée des chefs du village, il était en rupture avec ses proches, et le meilleur moyen pour s'en éloigner, autre qu'un visa vers un autre Village qu'il lui faudrait des mois pour obtenir, était de terminer la formation de Chasseur qu'il avait refusé de suivre un an auparavant. Ma mère était fille unique, d'origine modeste, douée cependant, surtout, elle voulait suivre mon père, pour l'épauler.

Ils se sont jurés de ne jamais remettre un pied ici. Pourtant, on ignore quels vilains tours le sort peut nous jouer.

Ils s'étaient fait la promesse de ne jamais s'en retourner au Village, c'est pourtant dans celui-ci que j'ai vu le jour, que j'ai grandi, élevée par mon père reconverti en herboriste et ma mère en médecin. J'étais persuadée à l'époque que c'est ce qu'ils avaient toujours fait, pourtant à l'aube de mes treize ans, ils ont commencé à délier les cordons de leur passé, à me les confier, petit bout par petit bout.

Au cours de leur récit, ils ont omis des pans entiers, tronqué leur histoire, estimant que certaines choses devaient être gardées pour eux-même. Je respecte ce choix, bien qu'aujourd'hui il soit source de questions sans réponses.

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant