Sept portes jusqu'au cœur (6)

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Sixième passage : Es-tu un Chat ?

Je grimpe, oubliant de reprendre mon souffle dans cet espace réduit, à l'air stagnant et putride. L'entrée, là-haut, cette tâche de blancheur accrochée aux limites du trou, me nargue de toujours plus de lumière. Une brise tourbillonnante s'engouffre dans l'aven, me communiquant un air un peu plus frai chaque seconde.

Toute à mon ascension, je laisse s'évaporer la menace du rongeur et de ses prunelles de sang. La surface m'ouvre les bras, éclatante de couleurs vivaces, loin des profondeurs noires. Je m'y découvre avec délices, abandonnant les échelons de corde.

Je me roule dans l'herbe, une certaine couche de boue séchée se détache de mes vêtements, la peau encroûtée me démange.

Le tilleul qui m'a vu surgir de son lopin de terre est en fleur, offrant à mes narines de tendres senteurs de début d'été.

Je tique, reconnaissant immédiatement le lieu : notre maison.
Pas la maison de mon enfance, placée au carrefour d'une impasse et d'une rue fréquentée du village.
Pas ma piaule d'internat mouchoir de poche dans un bâtiment auxiliaire de l'académie.

Non.

Notre maison, à mon père et à moi.
La cabane du bois interdit, cette construction branlantedans la clairière au tilleul, rapiécée au fil des mois et des fuites. La porte grinçante sur ses gonds est cernée par des bouquets de plantes suspendus par mon père pour les sécher.
Je m'avance vers la masure, bien réelle, fidèle à mon souvenir, affalée sur la prairie, aux murs essoufflés et croulants. Maman se serait étranglée devant un tel spectacle. Nous avions passer d'innombrables nuits dormant sur nos deux oreilles, sous un toit hautement susceptible de nous tomber sur le coin de la figure, au creux d'un simple tas de planches équilibristes.
Elle a dû hanter Papa des semaines durant, le traitant de fainéant irresponsable.

Mon père était l'un des rares à avoir libre accès à la forêt interdite. Il avait obtenu son laisser-passer auprès du conseil du Village l'année de leur retour au bercail. Autorisation exclusive au nom de Raniero Felisica, herboriste soigneur, pour lui permettre l'exercice de ses fonctions. Cet endroit regorge de matières premières diverses, parfois rares, aux applications médicales, scientifiques, militaires multiples. C'est un trésor bien gardé dans chaque village, une ressource potentiellement dangereuse, foisonnantes de plantouilles et de bestioles qu'il vaut mieux ne pas croiser.

Mon père et moi avons vécu dans cette cabane mitée, la seule à jamais avoir été construite dans cette jungle, positionnée en lisière de la zone la moins "problématique". Elle était en ruine à notre débarquement, à peine mieux qu'une parodie d'art contemporain une fois retapée.

Maman était scellée depuis moins de trois heures sous la pierre, que déjà nous nous acharnions sur des planches et des clous. On a plié nos affaires en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Tous mes vêtements et outils de toilette ont été fourrés dans un sac en toile. Les rares jouets que j'avais gardés sont allés à la petite sœur de Rolf. Papa a fait un second sac avec ses propres possessions, un troisième avec celles de maman, un quatrième avec la nourriture qui restait, trois ustensiles et deux photos.
La seule chose qui rendait le cinq pièce pas totalement impersonnel était les bouquets de végétaux odorants suspendus aux quatre coins, et l'arrangement du salon/salle d'auscultation de ma praticienne de mère.
Il ne demeurait plus rien : deux lits sans draps à l'étage accommodés d'une salle d'eau étriquée. Les deux espaces du rez-de-chaussés avaient des échos vides lorsque mon père en verrouilla l'entrée.

Vide.
Il ne restait rien.
Ma mère n'y apportait plus sa présence chaude et casse-pieds, ses caquetages incessants et ses gloussements de sale gamine effrontée.

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant