Tante Sklerijenn

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On admet certaines choses comme intangibles et immuables, on sait que sans elles, le monde ne tournerait plus rond.

Il est normal que le soleil se lève chaque matin pour se coucher ensuite chaque soir, il est normal de respirer, de s'alimenter pour vivre, il est normal que l'eau s'écoule dans le lit des rivières, il est normal que l'herbe ploie sous le vent et que les arbres s'arrachent lors des tempêtes.
C'est une question de croyances et d'habitudes, le socle de nos mondes respectifs repose sur elles, sur nos propres normes, ce que l'on considère comme vrai, l'indiscutable, "la moindre des choses"...
Il en faut peu pour qu'un geste, une voix, une action, un état d'être ou une présence devienne l'une de ces habitudes, devienne l'une de ces pierres qui structurent les fondations de notre existence. Ce sont les câbles de sécurité qui nous font tenir debout et avancer sur le fil bancal du quotidien.
Bien entendu, lorsque l'une de ces pierres se déloge de la place qui - de notre point de vue bien subjectif - devait toujours être la sienne pour se briser au bas du gouffre des révélations, notre équilibre faillit.

On perd notre appui, et on se casse la figure.
Irrémédiablement.

Par ce simple raisonnement, on peut conclure que je viens de me casser le nez, et toutes mes dents.
Je savais que ma vie était un vaste champ de mensonges et d'omissions. Malgré ça, je gardais la foi en certaines choses, que je croyais d'une exactitude si indéniable que le doute ne m'avait jamais ne serait ce qu'effleurer.

Je croyais être fille unique.
Je pensais que Raniero Felixio était mon père biologique.
J'étais persuadée qu'ils étaient retournés au village pour se réfugier, de manière sommaire certes, mais pour se réfugier quand même.

Je me trompais, si lourdement.

Et puis pour ça aussi, je me trompais : Léo bien que mou et friable en apparence, est un roc inébranlable, un esprit insondable. Léo est l'ombre bienveillante toujours penchée au dessus de mon lit de malade. C'est le lézard de l'Est aux facultés étranges, face auquel mon mal ne peut que s'incliner et se taire. Léo, c'est mon infirmier, ma nounou, mon confident, mon nouvel ami...

Pourtant, c'est moi qui suis penchée au dessus de lui, une main posée sur son front glacé.

Après sa chute, je me suis levée tant bien que mal pour le hisser à ma place sur le matelas. La porte s'est ouverte, mais pas sur l'un des adulescents : sur une femme de la cinquantaine aux yeux délavés.

"Je suis 'Djenn" se contenta-t-elle de dire, elle ajouta en soupirant, après un regard à celui que j'essayais de redresser "et j'arrive un tout petit peu trop tard pour éviter ça..."

Obnubilée par la perte de connaissance spectaculaire de Léo, et l'état probablement désastreux de sa psyché, je ne prêtais pas plus attention que ça à mon interlocutrice.
Elle m'aida à l'installer, essayant de solliciter le moins possible ma carcasse endolorie. Elle me fit assoir au bord du lit.

" Léo va bien, je peux te le promettre. J'ai renvoyé Maï et les garçons au travail, vous vous verrez plus tard. Je reviens dans cinq minutes, après avoir régler certaines choses avec Doumé, pour te parler seule à seule."

À ce moment là, je refermais la bouche sur les mots coincés dans ma gorge, et me contentais de hocher la tête.
"Léo va bien"
L'assurance et l'absolu qui vibraient dans sa voix me convainquirent instantanément, allégeant ma détresse. Elle disparut dans un froissement de tablier sale, me laissant seule avec l'étourdi, nous ramenant à l'instant présent.

Je me penche sur la poitrine du fils de Dragon, et lève la paume juste au dessus de ses lèvres entrouvertes. Son souffle est presque imperceptible, et son cœur bat de grands coups sourds à mon oreille. Des coups d'une lente régularité qui me rassure, on le dirait endormi.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 21, 2018 ⏰

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Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant