Rolf

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Je sors sans claquer la porte, ce qui m'étonne d'ailleurs. Ces derniers temps c'est la seule méthode que j'emploie. Je suis trop vannée nerveusement pour faire démonstration de brutalité inutile.

Enfin "au grand air", ma respiration n'est plus engluée, pas de relents de traquenard ou de suspicion, plus de stress, d'appréhension. L'espace est libre de toute mauvaise effluve! Ma poitrine retombe comme elle s'est gonflée, subitement et charriant avec elle une montagne de sensations fugaces.

J'ai échoué. J'en suis absolument certaine ; parce qu'il veulent me garder sous la main. S'ils m'envoient quelque part, ce sera vers le Sud, vers la Nouvelle Athènes, pour être auscultée et plongée dans un environnement propice à mon rétablissement psychologique. En gros et sans les pincettes, je suis une curiosité présentant un certain intérêt scientifique.

Je ne me laisserai pas faire, hors de question.

Une silhouette imposante se glisse à mes côtés.

- Tu en as mis du temps! Pourquoi ils t'ont retenus? Ça s'est bien passé?

Rolf. Je réponds par un grognement des plus accueillant et une fois de plus, je me demande pourquoi il s'obstine. Je suis acariâtre, antipathique, j'ai la même expression figée 95% de la journée. Autant dire qu'au passage de l'examen c'était le festival, j'ai tout laissé paraître. La drogue m'a désinhibée, je me suis lamentablement vautrée.

Revenons à notre ours, Rolf. La seule justification apportée au fait qu'il m'ait attendue à la porte comme il m'attendait à la fin de chaque cours... est que son père et le mien étaient copains comme cochons...
Quand j'étais petite, moi et Rolf étions camarades de classe, conspirateurs de bêtises, sales garnements ligués contre les adultes et tout le tintouin qui va avec. Au jour d'aujourd'hui, il continue de me côtoyer de temps à autre ''en souvenir du bon vieux temps''. A sa décharge, le bon vieux temps je ne m'en souviens plus nettement, submergée par mon mal-être actuel.

Il me tire un peu à l'écart de la zone de sortie, le regard interrogateur. Un ours ne lâche pas le morceau. Je me rends.

- Pour certaines raisons... il semblerait qu'ils ne veulent pas que je réussisse. Mon examen a été horrible, ils m'ont droguée pour laisser place libre à mon subconscient et fouiller dedans.

Il ouvre des yeux ronds.

- Bref, en conclusion, j'ai les aptitudes mais je suis une folle dangereuse qu'il n'est pas prudent de larguer dans le vaste monde. Je leur ai demandé un poste à la frontière nord, des fois que...

Le silence me répond. Je le meuble.

- Et toi gros nounours? Tu l'as ton poste de chasseur?

- Les résultats sont demain, alors ne sois pas si défaitiste, il est trop tôt pour baisser le pavillon. Moi ça allait. J'ai précisé que je voulais bien être affecté à n'importe quelle zone du moment que je me trouve un chaperon à chaperonner...

Un ronflement nous fait tourner la tête, une jeune fille est ratatinée sur le carrelage, endormie et pourtant gardant un air passablement secoué. Nous ne l'avons pas dérangée, discutant dans l'ombre d'une colonnade de pierre.
Je suis sûre qu'elle était dans la salle d'attente, et je suis sûre qu'elle n'y était pas. Quand est-elle passée exactement? Je reconnais les vêtements caractéristiques du dehors et je comprends qu'elle a passé l'examen en circuit dévié. Une fille fraichement débarquée du monde aveugle, d'une des portes de l'extérieur.
Je hausse des épaules, me retourne vers Rolf.

- Tu disais?

Il s'ébroue, comme sortant d'un rêve.

- Ah oui. Euh... je me demandais, je cherche un chaperon pour former un duo. Les résultats sont demain je sais mais... si on l'obtient tous les deux, je te suivrai dans le Nord si tu veux. Tu accepteras de faire équipe avec moi?

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant