Sept portes jusqu'au cœur. (1)

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Premier passage : Es-tu un corbeau?

- Commençons.

Je fronce les sourcils, car en prononçant ce mot, la chouette se tourne vers l'un de ses camarades. L'injonction ne m'était pas adressé à titre informatif, c'est un feu vert pour le corbeau. La femme tourne à nouveau son visage dans ma direction est soudain, je me sens comme la souris face au prédateur, ou même le renardeau. Oui c'est vrai ça, les très jeunes renards peuvent se faire emporter d'un coup de serre de la part de ces carnivores.

L'homme à faciès de corbac se lève et tend le bras en avant. Je reçois un choc sourd dans l'épaule droite, puis une décharge électrique y prend sa source et paralyse mes membres d'arcs de souffrance. Je ne peux plus baisser les yeux pour contempler le bras qui me semble arraché. Je tombe en arrière, poussée par une force surnaturelle. Quelques gestes désordonnés me raccrochent au vide avant que je ne perde total contrôle de mon corps qui s'enlise dans le néant. Je tente de me retenir à mes sens, l'odorat, l'ouïe, le goût et la douleur. Mais soudain c'est l'absence de senteurs, de matière, la sensation aigre dans ma bouche s'évapore au profit du rien. Soudain, c'est le silence absolu, ne me reste qu'un infime instant à voir encore effarée, cette main tendue vers moi, et ces orbes carnassières aux éclats jaunes...

Tout disparait derrière un écran noir...

Le renardeau s'est fait prendre...

***

J'ouvre les yeux, la tête me tourne. Je me redresse, toujours au milieu de cette prairie sans fin. Mais il n'y a plus de bureaux de pierre, ni de membres du jury. A la place... encore une porte.

Une porte magistrale, gigantesque, qui se dresse au milieu de nulle part, comme un monolithe celte abandonné sur la lande depuis des siècles.

Seuls les murmures du vent comblent le silence, ils bruissent dans les brins d'herbes folles et ajoutent à mon angoisse. Sous mes pieds la terre semble me happer, au dessus le ciel cobalt m'écrase d'un poids effrayant. Me voilà prise de claustrophobie dans un espace infini. Il y a l'océan vert en bas, l'océan bleu là-haut, la porte, comme un pilier entre les deux, et dans l'infime trou les séparant, il y a moi.

"Es-tu un corrrrrrbeau?"

La voix nasillarde ricoche et se perd à l'horizon. Je me tourne et me retourne à la recherche de son propriétaire.

- Où êtes-vous? Montrez-vous!

Un battement d'aile me répond, et là-haut, sur le cadre de la porte, j'aperçois une forme noire. La forme se déplie et s'élance dans le vide, des plumes luisantes reflètent des éclats bleus dans la lumière. Un corbeau descend de son perchoir pour atterrir juste au devant de mes pieds. Ses yeux trop noirs me décortiquent, et son bec pointu s'ouvre brusquement, comme s'il allait parler. Qu'est-ce encore que cette mauvaise blague?

- Ira Felisica, pourrrrrquoi es-tu ici? Le sais tu?

- Je passe mon examen?

- Ton examen?

- Celui qui me fera quitter le Village, celui qui fera de moi un Chaperon novice ou un marcheur solitaire.

- As-tu le sens du devoir?

J'hésite.

- Je ne suis pas sûre de vous suivre, ceci est une hallucination...

- Peut-être que oui, peut-être que non... Peut-être que ceci est notre façon, de te faire passer l'évaluation. Il a fallu que nous réfléchissions, à un moyen de comprendre chez toi ce que nous ne comprenions...

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant