Ira Irae

Loups

Une brûlure à la joue gauche me réanime. Mon crâne sonne comme une cloche et son tintamarre réduit le reste de mes perceptions à des vibrations floues et des tâches de couleurs dédoublées.

- Allez on se réveille!

L'éclat de voix fait exploser mes tympans, redonne un coup sur ma cervelle déjà bien secouée. La migraine me fait pousser un râle caverneux mêlant étourdissement et douleur.

Quand cette dernière s'atténue, c'est pour laisser le front à d'autres tourments :
Mon côté gauche est rouvert, je peux sentir les fibres de mon t-shirt s'y coller pour s'imprégner de mes fluides étranges. Des langues de sel s'y égarent et crissent le long de la chair à vif.
La plaie me tire, mais je ne peux pas bouger pour changer de position et relâcher mes muscles. Je suis attachée, chevilles et poings liés. Les étaux me compriment les articulations et la pression engourdit mes doigts. Je n'ai pas d'autre choix que de rester immobile, le moindre étirement retournerait inutilement dix poignards dans mon flanc.

On me tapote la joue. La joue qui, vraisemblablement, a reçu la baffe qui m'a sortie de l'inconscience.

- Debout!

Derrière le voile translucide de la mue de Léo, je discerne une ombre étrangère, penchée sur moi.

Mon cœur fait une embardée, mon estomac remonte au bord de mes lèvres. L'Intradimensionnel. Quelqu'un d'autre se trouve ici, et n'a apparemment pas apprécié notre visite. Le pic de stress dissipe la brume de mon esprit et les aiguilles de mes pensées reprennent leur tricot infernal.
La silhouette se recule quand il détecte les signes de mon éveil sous la combinaison d'écailles.
Je tourne un peu la tête. Ils sont trois, dressés dans des nuages d'ombres changeantes. Deux en retrait, le dernier me dominant, m'écrasant d'une aura menaçante. A ma droite, Léo est attaché, de façon similaire à la mienne, à ce que qualifierai être une chaise de torture. Il est affalé dessus en un gros sac informe, flasque.

- N'essaie pas un tour de serpent comme ton petit camarade. La moindre tentative d'hypnose sera traiter radicalement.

"Qu'est ce que vous lui avait fait?"

Les mots ne passent pas mes lèvres, ma gorge refusant d'articuler.
Pendant que je combats mon mutisme les trois compères restent de marbre, ils communiquent entre eux, dans le silence. Ils sont maîtres des lieux, maîtres du RévélaSonge où il ont crû bon de nous neutraliser.
Je suis trop étourdie pour essayer d'en prendre le contrôle, et je m'en abstiendrai tant que je ne saisirai pas plus concrètement la situation.

- Retire ta cagoule

La voix est dure, froide, anonyme, déformée par un essaim d'interférences. Je n'obéis pas. Il grogne, poursuit :

- Qui êtes-vous?

Je ne lui réponds pas, essaie simplement, discrètement, de retrouver la maîtrise de mes membres endoloris, de rouler des épaules pour en faire surgir mes armes de jets, si une occasion se présente.

Que faire? Comment les éliminer? ...ou d'abord : qui sont-ils, derrière cet étrange brouillard?

Le monstre commence à gronder, le Poison se réchauffe...
Les partisans, les partisans du Silence connaissent cet endroit...ils l'ont trouvé. C'est sans doute eux qui ont tout réaménagé, pour l'avoir sous bonne garde... comment ai-je pu être aussi stupide? Si certaine que l'Intradimensionnel était inviolable? J'étais pourtant prévenue, formée pour ça...

Son ombre menace, la mienne se hérisse...
Il fait des pas, de droite à gauche, de gauche à droite, enchainant les voltes, me donnant le tournis.