Sept portes jusqu'au cœur (2)

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Deuxième passage : Es-tu un loup?

Je passe la première porte, et me voilà à nouveau plongée dans la nuit. Une nuit d'argent, piquetée d'étoiles et gouvernée par une lune gibbeuse.

Le corbeau et ses moqueries, le jour et ses rayons, ont disparus derrière moi. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir que la porte s'est aussi volatilisée. Je contemple l'astre au trois quarts illuminé, qui siège dans les cieux avec une grâce immuable, aucune nuée ne vient troubler sa vue et elle me scrute du haut de son perchoir céleste.

Je suis au bas d'une colline boisée, au creux d'un vallon où coule un ruisseau tranquille. Sur le haut du relief qui me surplombe, on aperçoit un promontoire de roche qui écorche le ciel, et sur ce promontoire... encore une porte.

Je dois toutes les passer jusqu'à pouvoir sortir de ce cauchemar. Chaque examen est propre à chaque individu, c'est un fait établi. Certains ne font que répondre à des questions de routine, pour la forme, car Ils savent déjà tout ce qu'Ils veulent savoir, c'est juste un entretien bateau à l'issu duquel Ils donnent un accord définitif.
Pour d'autres... il y a à subir des épreuves totalement imprévisibles, élaborées par leurs soins, dans le but de trouver quelque chose d'autre, une chose inconnue même de l'aspirant, ou dans mon cas, une chose que l'aspirant tente de cacher...

Un hurlement retentit, juste dans mon dos, je sursaute et mon cœur fait un tel bond que je frise la syncope. Le hurlement, haut et clair, puissant et profond, est une lamentation qui s'étire et fait courir un frisson le long de mon échine. Mes oreilles subissent, mes nerfs encaissent.

Lorsque le soupir à la Lune s'éteint, il redémarre de plus belle une seconde fois, la terreur me pousse à l'agonie et une sueur froide coule sur mon front.

La vocalise animale s'éternise et je reste quelques secondes tétanisée par l'idée que le loup dressé dans mon ombre va me sauter dessus, crocs et griffes de sortie.

Le silence revient, et un souffle chaud vient se glisser dans ma nuque, je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas crier. Bon sang, le jury a décidé de jouer avec moi. Ici, je ne peux pas laisser des démangeaisons de fuite me prendre au dépourvu, et je suis prête à parier que le canidé est un sale petit plaisantin comme l'était Maitre Corbeau. Je respire un grand coup en essayant de réguler les contractions saccadées de mon myocarde.

Le souffle s'éloigne de mon cou à mon grand soulagement, j'entends des pas à mes côtés et quand je me décide à pivoter la tête à ma droite, un grand loup gris s'y trouve et me dévisage de ses yeux ambrés.

Il me regarde, il regarde le haut de la colline, il me regarde.

Je l'observe, regarde la porte haut perchée et si lointaine, et commence à courir dans sa direction, sans me poser de questions.

Je dois la franchir, le grand méchant loup peut aller se faire voir. Qu'il aille voir chez Mère-Grand si j'y suis.

Je cours et pénètre le bosquet, les feuillages me cachent la clarté lunaire et je trébuche à plusieurs reprises sur des racines. Les chaos de pierres sur les hauteurs se distinguent maintenant entre les troncs, je grimpe encore et surgis à nouveau sous la voûte du ciel, la porte se détache sur mon chemin, similaire à la précédente.

J'ai droit à un instant de satisfaction... mais c'était trop facile.

Le temps de distinguer les bruits rythmique d'un galop dans la pente sous moi, me voilà jetée au sol avec une violence étourdissante. Mes mains amortissent le choc, alors que des griffes se plantent au niveau de mes omoplates et font peser près de cinq cent kilos sur ma faible carcasse.

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant