Sept portes jusqu'au cœur (5)

63 8 0
                                    

Cinquième passage : Es-tu un Lapin?

Le paysage qui m'attend de l'autre côté ne me surprend en rien : les méandres d'un terrier. Dans ce trou noir qui se ramifie en plusieurs galeries, la seule source de luminosité est une faible phosphorescence émanant de toutes les parois suintantes. Elle embrume l'air d'un vert énigmatique portant avec elle des odeurs de décompositions végétales.

L'antre est étonnamment large, j'y tiens debout sans courbure. Je peux étendre les bras à l'horizontal sans effleurer les murs. Des gouttelettes me dégringolent dessus, elles glissent le long des radicelles qui pendent au plafond comme autant de stalactites.

J'étais perdue dans ma contemplation, lorsque un courant d'air surgit par dessus mon épaule. Une boule poilue, perchée sur de grandes guiboles, surmontée de deux longues oreilles agitées, m'a franchie comme on saute une haie.
Un lapin, tout ce qu'il y a de plus ordinaire.

Il remue le museau frénétiquement. Je le fixe en retour d'un air inspiré.

Je parle peut être un peu trop vite, mais cette partie est gagnée d'avance.

Il se ramasse, je fais de même par réflexe. Nous sommes deux coureurs dans les startingblocks. Je le dévore de mes yeux, passe ma langue sur mes lèvres par provocation, c'est le seul membre du jury avec lequel je peux me le permettre.

Son pelage blanc se hérisse d'indignation, son museau frétille, ses iris rouges grand ouverts lui donnent une tournure démente.

Il retient sa respiration, je fais de même, parcourue d'un soubresaut. Ses membres postérieurs se détendent soudainement, la poussée est digne de celle d'une puce toutes proportions gardées. D'un clignement d'yeux, il disparaît dans le premier tunnel à sa portée.

Je réagis aussi vite que mes réflexes humains me le permettent, usant de toute ma vivacité, de toute ma force forgée aux heures de suées. Je me lance à sa poursuite, s'en suit une course effrénée dans les couloirs du labyrinthe souterrain.

Je déchante très tôt. La souris est finaude et le chat pataud, ou dans le cas en présence : le lapin connaît les recoins de sa maison et le renard s'y confond et s'y fait berner.
Tâche difficile finalement...

Il rebondit et se joue de moi, bifurquant dans des creux insondables.  Le farfadet blanc me fait glisser dans des flaques, trébucher sur des cailloux traitre, déraper dans la gadoue...
Je ne suis pas très fraiche suite à mon bain de vase... et n'ai aucune envie de renouveler l'expérience si vite.

Je veux le rattraper mais aussi contrainte de garder une certaine distance. Il modifie sa trajectoire trop brusquement et de manière tout à fait aléatoire. Je risque de rater l'intersection à la dernière seconde et de le perdre dans le dédale. L'inverse est également vrai, je ne dois pas le laisser filer au loin.

Les oreilles dressées et le cul blanc qui luisent comme des balises montées sur pattes se dérobent à ma vue dans un virage. Je cours encore quelques secondes, suivant un chemin hasardeux, ajustant mon souffle, sans qu'il revienne dans mon champ de vision.

Je jure silencieusement.

Le rongeur m'a semé.

Je reviens sur mes pas, là où je l'ai perdu, et je mets en pratique les enseignements de mon père et de l'académie en ce qui concerne le pistage. Non pas que cela revête d'une quelconque difficulté, lorsque les empreintes de ma proie sont profondément marquées. Les suivre est un véritable jeu d'enfant, elles sont aussi évidentes que des flèches à diodes clignotantes.

Bientôt l'affaire se complique, les traces se multiplient et se recroisent, elles s'emmêlent en des nœuds inextricables. A croire que toute une clique de mangeurs de carottes est venue faire la sarabande, avec, comme projet anticipé, l'ambition de me faire tourner en bourrique!

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant