Blanchette

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Presque un an s'est écoulé depuis, et si j'ai repris le dessus sur mes émotions, me voilà de nouveau perdue dans la forêt des lanternes.

Pas de loup ou de chat/tigre, mais un renard, qui est venu alors que j'étais profondément plongée dans mes réflexions. J'émerge de mon absence et le regarde, son pelage sombre semble trempé de sang sous l'éclairage des luminaires de papiers teintés.
Je le suis comme j'ai suivi les ombres du chat. Je reconnais l'arbre aux bandeaux, il n'y en a plus aucun suspendu à la basse branche. Le mien git à son pied. Je m'en empare de mes doigts hésitants, je le noue autour de mon poignet. Il disparait dans ma peau. J'observe le phénomène sans tiquer, ce n'est pas le premier objet avec lequel j'en fais l'expérience. Il y a aussi mes armes de jet favorites, dissoutes dans mon dos. Mes cheveux dans la maille, mon sang versé sur les lames sont un mot de passe, une sécurité universelle. Cette matière étrange dans laquelle ces objets ont été forgé s'est nourrit de mes cellules, de mon ADN, et se refusera à présent à tout autre personne. Encore de l'alchimie des Loups...

Le Nord cache bien des secrets... que mes parents côtoyaient plus que d'imaginable semble-t-il.

Je ferme les yeux, les rouvre, l'intradimensionnel me recrache et s'éteint. Je suis de retour dans le souterrain plongé dans la pénombre. Le silence m'entoure, je caresse mon avant bras distraitement. Je glisse ma main dans ma poche arrière, contre l'ampoule de verre qui n'a pas bougé.

Mes paupières tombent toutes seules je sens que je pique du nez, pourtant je ne peux plus dormir, je dois sortir.

Je dois condamner cet accès, je dois retirer le Village des points d'apparitions du labo. Car quoi qu'il se passe, je ne reviendrai plus ici. L'imminence de ce futur me touche enfin, je m'approche du panneau d'entrée, à côté du boyau vers le puits. Je coupe le générateur, et bidouille un boitier électronique, j'efface un pan entier de la mémoire GPS. Une fois que je serai sortie, tout s'évaporera.

Je ne lance pas un regard en arrière et m'engage dans le conduit. Je m'agrippe à la paroi tubulaire et observe la grille se pixeliser avant que  les pierres humides et leur ciment rongé par la mousse ne la remplace.
Il n'y a plus la moindre trace des Felisica dans ce Village, juste des étiquettes dans des registres administratifs, dont deux déjà scellés par le décès. Il n'y a rien d'autre, plus rien dans la maison, dans la cabane, presque rien dans la mémoire des villageois. Plus que moi.

Plus pour longtemps.

Je traverse le bois, mon sac sur une épaule. A la lisière la lumière m'attend, le soleil s'est levé. Évitant les zones découvertes ou sous vidéo surveillance de la lisière, je déboule dans un jardin et saute sa barrière.  Je respire un bon coup, et m'oriente dans la rue, mes méfaits nocturnes insoupçonnables.

La place devant la salle du Conseil commence déjà à se remplir et je fronce le nez en me noyant dans cette foule.

Je m'isole dans un coin, au pied d'un mur, et m'endors presque aussitôt malgré les caquetages. Je suis réveillée lorsqu'on me secoue l'épaule. Un géant brun semble décider à me faire décoller de terre. Je grogne.

- Rolf.

- Ben alors, on a pas passé une bonne nuit?

Je me redresse, courbaturée.

- Pas vraiment nan.

-A cause des résultats?

- ... On peut dire ça, oui.

Je reste évasive, tout en évitant son regard. Il soupire.

- Encore une de tes crises?

- Non, ni de tétanie, ni de paralysie, ni de nerfs. Ça s'est bizarrement calmer ces derniers temps. Sauf hier, j'ai voulu massacrer la sorcière.

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant