Attente.

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J'entre avec un mouvement fluide dans la salle d'attente pour échapper aux grincements agonisants des gonds de la porte que l'on entrouvre au ralenti. Je referme le panneau avec le même naturel puis m'élance vers la première chaise libre qui s'égare dans mon champ de vision.

Je suis déjà en retard, pas la peine de me faire remarquer plus que nécessaire. Le regard noir de la permanence à l'accueil lors de mon intrusion furtive me l'a bien fait comprendre.

Certains visages se lèvent vers moi un quart de seconde, ils se détournent aussitôt. Les autres n'ont pas bougé d'un iota, trop obnubilés par leur anxiété, leur peur de l'échec. Certains relisent une dernière fois des passages surlignés dans leur livre du Code.

Je m'installe sur mon siège et le garçon à ma droite a un mouvement de recul.
Je n'ai pas posé mon manteau à l'entrée et ce dernier dégouline inlassablement. Je suis restée assez longtemps sous l'ondée pour qu'elle imprègne entièrement le vêtement et m'alourdisse sensiblement. Je rabats ma capuche en arrière, ce qui projette encore quelques perles d'eau sur mon voisin.
Il est clairement indisposé et je dérange ses révisions de dernière minute.
J'ignore superbement l'avarie dont je suis la cause et observe le reste de la pièce.
Des élèves présents avant moi dans l'ordre alphabétique ne sont pas encore passés. Je n'ai pas raté mon tour. La visite au cimetière m'aura juste épargné un peu de temps ici, où l'atmosphère est plus glauque encore que l'alignement de tombes que je viens de quitter.

Les secondes s'égrainent et je sens les rivalités batifoler dans l'air comme autant d'arguments futiles. Se monter les uns contre les autres à présent ne sert plus à rien. S'ils voulaient moins de concurrence, ils n'avaient qu'à commettre un meurtre avant.

On le sait, la majorité d'entre nous n'aura pas ce diplôme, et personne ici ne compte faire partie de cette majorité.
Chaque année un quart plus ou moins maigre de la promotion de l'académie se voit accorder une place de Chaperon ou de Chasseur dans le monde extérieur. Les recalés sont bannis... allez savoir où, allez savoir pourquoi.

Pourtant chaque année, il y a toujours autant -si ce n'est plus- d'aspirants à se jeter sur l'une de ces deux formations marquées du sceau de l'excellence.
Je ne fais pas exception.

Tous, nous avons perdu des mois de notre existence à nous nouer les tripes au dessus de livres pavés, à réciter des mots jusqu'à ce qu'ils en perdent leur sens.
Tous ces efforts... pour la gloire, pour l'argent, par devoir, pour l'accomplissement, la reconnaissance... pour nourrir nos rêves, pour combler nos ambitions.

La Voix des Mères-Grand est absolue. S'y dévouer corps et âme c'est transcender notre condition d'individu chétif.

Un sacré paquet de foutaises oui! Seuls ceux qui ont eu le cerveau cramé au dernier degré par l'endoctrinement compulsif dont nous sommes cibles suivent cette cause comme des fanatiques.

La réalité, bien souvent, est toute autre : nos neurones sont encore en un état respectable de fonctionnement, ce qui nous permet de considérer le Diplôme comme l'unique clé des champs à portée. On veut voir ailleurs, autre chose. Les Villages sont tous les mêmes, le monde est tellement plus vaste. Devenir Chaperon, ou Chasseur, c'est la bonne option pour pouvoir le découvrir.

Un diplômé a plusieurs voies qui s'offrent à lui : partir de son côté et devenir Marcheur Solitaire, ou accepter un poste d'apprenti auprès d'un magistrat de la Nouvelle-Athènes. Malgré ça, il y a toujours quelques malchanceux qui se retrouvent mutés émissaires aux zones frontalières, mais la peine en vaut la bourse comme on dit.

En face de moi, un petit groupe d'élèves se détachent clairement, guindés sur leurs chaises, reniflant avec condescendance, leurs yeux brillent de mépris en s'attardant sur les autres. Je constate un peu lassée, qu'il s'agit des enfants des membres du conseil municipal, qui incarne la plus grande autorité ici. 
Ils démontrent leur supériorité de la sorte, se rassurant ainsi pour les résultats de l'épreuve à venir, ils se persuadent de leur plus grande valeur.

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant