Dernière promesse

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Le liquide coule dans ma gorge et anesthésie ma langue. Je le sens qui descend dans le creux de mon ventre. Il est froid, écailleux, un serpent constrictor qui commence à m'étouffer progressivement de l'intérieur.
Une fois vide, l'ampoule devient encombrante, une preuve, un indice. C'est une trace que je dois effacer, pour éliminer toute hypothétique découverte du Poison.
Pour ça, je sors de mon sac un briquet, l'allume, et place l'ampoule au dessus de la flamme.
Les résidus réagissent, s'enflamment dans le tube, les archéa-molécules irradient d'un blanc pur, ne dégagent aucune odeur, aucune fumée. Le verre chauffe, devient dur à tenir entre mes doigts. Il se liquéfie, les première gouttes tombent d'elles-même dans la cuvette, j'y jette ce qu'il reste avant d'être brulée par la vapeur. Je recommence avec le bouchon. C'est plus compliqué.

Ce phénomène nous a couté cher en matériel de laboratoire. Au cours de nos tâtonnements, nous nous sommes livrés à diverses expériences sur les composants que nous réussissions, bon an, mal an, à isoler. La première fois que papa a mis le feu à sa paillasse, tout y est passé. On a couru vers la porte, mais j'ai refusé de sortir, je voulais voir. Les flammes montaient presque jusqu'au plafond, pourtant l'alarme incendie ne se déclenchait pas. Leur lumière était devenue si éblouissante que j'ai été contrainte de fermer les paupières, de les cacher derrière ma manche. En les rouvrant,  j'ai vu mes alambics se gondoler, les bécher devenaient flasques,  les fioles ramollissaient, s'avachissaient. Le verre a crachoté encore quelque étincelles avant de fondre complètement.

- Papa, mais qu'est ce que tu as encore fait?

- Donne moi cette éprouvette, Ira.

Il tendit la main, et seulement je me rendis compte que je serrai fort dans mon poing le tube que j'étais sur le point de remplir avant l'explosion. Je lui donnais sans discuter, il s'avança dans la flaque. L'intradimensionnel était inondé. Il s'est baissé, a prélevé ce qu'il supposait être une sorte d'aquosité. Ensuite, pendant qu'il faisait des analyses, je m'étais retrouvée à passer la serpillère et faire l'inventaire de ce que nous avions perdu. Fille et assistante, sont les deux mots qu'il me brandissait toujours avec un balai et une pelle. Il ne cachait pas son sourire ravi, et savait pertinemment que j'étais dans l'incapacité de dire non. Maman détestait les tâches ménagères et se débrouillait toujours pour y échapper, il se vengeait sur moi.

Les résultats de la bizarrerie sont arrivés : il n'y avait plus de silice, plus d'archéa-molécules... L'Alchimie, à défaut de changer le plomb en or, métamorphosait le verre en eau.

Des petites écailles transparentes flottent encore, tout le verre n'a pas pu être dissout, il restait trop peu du mélange. Pour faire bonne mesure et évacuer les minuscules paillettes, je tire trois fois la chasse. Mon ancienne vie disparaît dans les conduits, accompagnée par des monceaux de merde.

Ma vision plie sous des courbes étranges, et la tête commence à me tourner. Ce n'est que psychologique, le Poison ne peut pas déjà avoir réagi. J'ai encore du temps, un tout petit peu de temps avant que mon système ne soit entièrement envahit. Je fonce hors des toilettes, bouscule la foule toujours présente, l'hymne heurte mes tympans et le renard charbonnier glapit.

Le Poison, le poison commence à bouillonner, ses grains d'absurde se coincent dans les rouages de mes cellules. Ce qui se passe dans mon corps n'est pas explicable, je n'en connais que des bribes physico-chimiques. Hier soir, j'ai pris une première dose, des motifs qui se sont fixés sur le Poison comme autant de serrures. Tout à l'heure, je tenais la clef, ses millions de corpuscules vont s'associer à chacun des verrous. La gélule était un socle, l'ampoule le vrai réactif. J'ai mis la clef dans la serrure, elle tourne d'elle-même à l'intérieur, lentement. Elle éventre mon abdomen, j'ignore ce qu'elle en fera sortir. J'ai crocheté cette porte, à présent que je le veuille ou non je vais la franchir. C'est simple, et c'est la seule chose que je sache. Après, ce qu'il se trouve derrière cette porte m'est inconnu, car l'Alchimie et le Poison sont des mystères qui ne se laissent pas si facilement élucidés. Il ne me reste plus qu'à espérer, à espérer que "le plus probable" devienne "certain", que mes "peut-être" soient "réalité".

Ira IraeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant