Chapitre 24

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Le vieux plancher craqua sous le poids de ma sœur qui quittai la cabane. Chaque fois que je respirais, c'était comme si mon coeur se brisai, comme si des des échardes venait se planter dans mon âme, faisant couler ma tristesse à flot. 

Mon regard se perdit dans les épines des pins desséchés. Je reconnaissais tout, et ça faisait encore plus mal. Là, l'arbre à l'ombre duquel Graciella m'avait offert mon plus beau cadeau d'anniversaire, son amitié. Ici, l'endroit où je lui avais confié mon amour pour Peter... 
Mais c'était du passé tout ça. 

A deux reprises, j'avais failli mourir, et pourtant j'étais en bonne santé. Mais Graciella, elle, était morte. J'aurai tout donné pour prendre sa place, pour mourir si elle restait en vie. 
Mais le Ciel en avait décidé autrement. Le Créateur en avait décidé autrement. 

J'avais déjà aperçu la sphère de la vie, grâce à laquelle le Créateur pouvait voir qui allait mourir et qui allait vivre. C'était un globe d'énergie dorée qui diffusait une lumière éclatante. Une lumière divine. 

En réalité, nous n'étions que des pions sur le plateau de jeu de la vie. Le Créateur nous façonnait, nous mettait en jeu, et, quand il en avait assez de nous, il nous jetait. 

C'était aussi simple que ça. Nous étions ses parfaits petits soldats, et il se moquait de nos intentions, de nos passions, de nos envies, de nos liens. 
En réalité nous ne lui devions rien. Il nous créait pour peupler sa terre, pour se divertir, et quand la partie devenait trop ennuyeuse, il provoquait des rebondissements. 
Séisme, guerre, épidémie, tout était permis, tant qu'il s'amusait. 

Et puis il y avait la mort naturelle, qui fondait sur nous comme un aigle prêt à cueillir sa proie. Mais même la mort était orchestrée. Tout était pensé, arbitré. Il tirait les ficelle comme un marionnettiste machiavélique. 

Il sortait les figurines de son jeu, les balayant du plat de la main, et les belles petites poupées se brisaient en milles morceaux. 

Mais le Créateur n'avait pas fait que tuer Graciella. Il avait fissuré mon avatar, il avait brisé mon coeur. Son jouet était cassé, et il ne pourrait jamais plus être réparé. Je ne pourrai pas être réparée. 

De nouveaux pas sur le plancher me tira de ma réflexion. 

- Ingrid? 

Je me tournai vers la personne qui s'avançais vers  moi. Je tentai de sécher mes larmes, mais mes yeux étaient toujours mouillés. - Oui Peter? 

- Ça va? 

- Oui, oui, ne t'inquiète pas. 

Ses yeux étaient empreints d'une si grande pitié et d'une si grande compassion que c'en était presque insupportable. 

- Alors, tu es prête à retourner dans le monde des vivants? Je comprends ta tristesse mais pleurer les morts n'est pas nécessaire. Il faut que tu profites des vivants qui sont encore là, tant qu'ils sont sur Terre. 

- Je suppose que tu as raison."

Je le suivis alors, tentant de retenir les larmes qui menaçaient de couler. Au bout d'une demi-heure, j'arrivai devant les portes de la ville, gardées par deux menaçants bandits. Ces derniers nous demandèrent de décliner notre identité, et Peter se porta garant de moi. Cette attention me mit un baume au coeur quelques instants avant que ma tristesse reprenne le dessus. 

Au fur et à mesure de notre progression dans la ville, je restais figée, désolée de constater les dégâts. Quand je passai devant le Duomo, la splendide cathédrale de Florence, je ne pus retenir un cri de stupeur. 

Le splendide dôme de pierre était effondré à plusieurs endroits, et la structure de pierre était troué. Les murs étaient décorés de grandes fissures et seule la croix d'or était intacte. 

Je voulus rentrer à l'intérieur pour constater l'ampleur des dégâts, mais Peter me tira par le coude. Selon lui, il ne valait mieux pas traîner là, et quand je vis un homme armé patrouiller dans la rue, je décidais de le croire. 

Bientôt, la maison fut en vue. Elle avait seulement gagné quelques fissures mais j'étais soulagée de voir qu'au moins élément était stable dans ma vie. 

Quand je poussai la porte de bois, mon coeur manqua un battement. Rien n'avait changé, tout était comme avant. Avant quoi au juste? En réalité, je ne savais pas ce qui m'étais arrivé entre ma vie sur Terre et ma vie au Paradis. 

Je remis mon interrogation à plus tard quand je vis mon père se lever pour s'avancer vers moi. Son visage avait été marqué par le passage des années et sillonné de nombreuses rides, mais il était toujours le même homme. 

Son visage s'étira en un fin sourire et il s'illumina. Son expression était si radieuse que je reconnus le jeune homme que j'avais vu sur les photos de mariage de mes parents. 

Il me serra dans ses bras et l'odeur de son parfum bon marché m'enveloppa. J'aurai voulu lui parler, mais on le héla par le fenêtre et il sortit dehors. 

Maria m'amena dans ma chambre et me laissa seule. Quand je regardais à la fenêtre, je vis que les premières étoiles brillaient dans le ciel. 

Je m'étendis sur mon lit et m'endormis en pleurant, les visages de William et Graciella flottant dans mon esprit. 


Et si le Paradis était un enfer?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant