Chapitre 4

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Les lasagnes n'attendent que nous et pourtant, aucun de nous deux ne se sert. On regarde à droite, on regarde à gauche, on joue avec nos couverts et on fait tout pour éviter que nos regards se croisent. Je ne sais pas quoi lui dire, je ne sais pas comment lui dire. J'aimerais trouver un début, un fil conducteur mais j'ai l'impression que dès que je sortirais un mot, elle s'enfuira. Je n'ai pas envie qu'elle s'enfuit. Pas encore.
« - Et sinon ? L'installation de Raya se passe bien ? Enfin, elle s'intègre bien ? demande-t-elle en pliant et repliant sa serviette sur ses genoux
- Ouais, nickel pour l'instant tout baigne...
- C'est cool... Je suis contente pour elle. Je suis contente de savoir qu'elle t'a. »
Mais ce n'est pas avec elle que j'ai envie de passer mes journées. Du moins pas dans ce contexte-là. Néanmoins, Raya avait raison sur certaines choses, notamment sur le fait que c'était à moi de régler la situation.

Je dépose la serviette sur la table et me lève de la chaise. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'Amélia lève les yeux pour me suivre du regard.

« - Qu'est-ce que tu fais ?
- Je voudrais que tu viennes avec moi. »

Je lui tends ma main et l'espace d'une seconde, je n'ai pas cru qu'elle la prendra... Et pourtant. Sa main glisse aussi sec dans la mienne et elle se lève aussi sec pour me suivre tandis que je sors. Dehors, les bains de soleil d'Helena n'ont pas bougés et c'est sur l'un d'eux que l'on installe.

« - C'était souvent sur ces trucs en plastique que l'on réglait la plupart de nos problèmes et qu'on passait nos soirées à discuter non ?
- Oui...
- Alors ce soir, j'aimerais que tu m'écoutes. Que tu m'écoutes jusqu'au bout. Parce que c'est important et parce que je ne veux rien gâcher. »

Je relâche sa main mais mes yeux ne quittent pas les siens. Prenant une grande inspiration, je décide de me lancer.

« - Je ne m'excuserais pas. Tu sais... Tu me disais toujours que je m'excusais trop. Pour rien. Alors, je ne m'excuserais pas. Je ne peux pas effacer le passé et je n'ai pas le pouvoir de remonter dans le temps alors, je ne peux pas guérir ta peine, ton chagrin et ta solitude mais je peux les combler. Je ne prétends pas à vouloir ravoir une vie à deux, comme avant non. Mais je peux te promettre que peu importe le temps, peu importe la distance que tu mettras entre nous, moi, je t'attendrais. Je t'attendrais là, sur l'un de ces trucs qui font mal au cul et je te tendrais la main quand tu seras prête. C'est la seule promesse que je peux te faire maintenant. La seule que je puisse tenir. Je ne veux plus te blesser, directement ou non. Je ne veux plus t'abandonner, volontairement ou non. Je ne veux plus voir ce regard qui me déchire de l'intérieur, parce que je sais que tu l'as à cause de moi. Je sais que je suis la cause de tous tes malheurs et que ce jour-là, je n'aurais pas dû faire ce que j'ai fait ... Tu peux m'en vouloir, ça serait légitime.
- Kyle...
- Non attend. Je n'ai pas fini. Je tiens à être précis. Je sais que je t'ai fait du mal ... Vraiment beaucoup mais crois-moi, si l'espace d'un instant, je pouvais retourner dans le passé, il y a un an et me briser les deux jambes... Je le ferais. Je sacrifierais le monde pour toi tant que tu n'as plus ces yeux-là.
- Kyle écoute...
- Je n'ai pas fini, j'ai dit. Tu me manques Amélia. Tu me manques à en crever. Un an et six mois c'est long. Trop long. Tout me manque. Toi, ton rire, tes grognements de caniche enragé, tes ronflements, tes bras, ta voix. Même tes bruits de pets quand tu crois que je ne t'entends pas !
- Hé !
- Ahahaha... ...Je sais que c'est être égoïste mais j'aimerais vraiment, vraiment, vraiment...que toi et moi...J'aimerais...
- D'accord. »

Je ne m'étais pas préparé à affronter son sourire et ses larmes roulants sur ses joues. Je ne m'étais pas préparé à devoir lui faire face de cette manière-là. Comme ça. Avec elle, je ne suis jamais prêt au fond.

« - D'accord ?
- D'accord. Accordons-nous une seconde chance. »

Quand la paume de sa main vient se poser sur ma joue, j'ai l'impression qu'une flamme longtemps éteinte se rallume au fond de moi. J'ai l'impression de reprendre vie. De respirer à nouveau. Trop longtemps j'ai oublié la sensation de ses petits doigts boudinés contre ma peau.
Nos lèvres se rencontrent à nouveau, naturellement, dans une danse sensuelle dans laquelle nous avions oublié les pas. Je me souviens maintenant, des courbes de son corps, du goût de ses lèvres et de cette étoile naissante dans ses yeux.

Je me relève sans la quitter et la prends dans mes bras, poussant la porte à coup de pied ce qui la fit rire.

Que c'est bon. Bon d'entendre ce rire. Bon de retrouver cette sensation mélangeant désir, plaisir, bonheur. Que c'est bon d'être de retour à la maison.

« - Attention la tête, sifflais-je en rigolant »

On passe la porte et on vient à monter les escaliers. Et tout en haut, on se retrouve face à un dilemme.

« - À droite ou à gauche ? demandais-je
- La dernière fois, c'était dans ma chambre... Maintenant, il faut que l'on baptise la tienne, répond-elle amusée
- Pas faux ! C'est parti ! »

C'est vrai. La première fois que nos corps se sont rencontrés, c'était dans sa chambre. Quand je pense que nous avons fait l'amour alors que Mima ronflait comme un gorille dans la chambre à côté. J'en aurais presque honte, même si la satisfaction du moment l'emportait largement sur le souci de se faire choper.

Je dépose Amélia sur le matelas et à peine ai-je le temps de me retourner pour aller fermer la porte, qu'elle m'attrape et m'enlève mon tee-shirt.

Et à ce moment-là, son visage mue complètement et cet air triste réapparaît immédiatement. Son pouce parcourt la cicatrice sur mon estomac. Elle n'est pas bien grosse et forme une petite étoile si on a un point de vue artistique mais Amélia sait exactement à quoi correspond cette forme gravée sur moi.

Ses larmes se remirent à couler d'elles-mêmes comme inépuisables.

« - Non, non, non. Ne pleure pas. Ne pleure pas. Regarde, je suis là non ? Je suis bel et bien vivant non ? fis-je en attrapant ses mains et en les posant au niveau de mon cœur, sur ma poitrine
- Oui mais... Mais...Tu...
- Hé... Tout va bien maintenant. Je vais bien. D'accord ? »

Rien ne s'arrêta. Ses pleure devinrent un énorme sanglot et la seule chose que je puis faire pour elle, fus de la prendre dans mes bras, la consolant et la berçant, jusqu'à ce que la fatigue la gagne et qu'elle s'endorme.

Une fois que ce fut chose faite, je la couchais dans le lit, rabattant les draps jusqu'à hauteur des épaules et resta un moment, assis à côté, à la regarder dormir. Malgré ses traits déformés par la douleur et le chagrin, Amélia était belle. Belle non pas dans le sens « canon de beauté », mais belle dans le sens « simple ». Elle avait de grosses joues, qui ressemblaient à des joues de hamsters quand elle boudait. Ses yeux étaient aussi grands et curieux que ceux d'un nouveau-né. Son nez... Elle avait un petit nez, ce qui était rigolo mais ça ne l'empêchait pas de faire un bruit de trompette quand elle se mouchait. Oui, Amélia n'était pas une reine de beauté mais étrangement, c'est de toutes ces petites imperfections dont je suis tombé amoureux.

Et c'est toutes ces petites imperfections qui font d'elle un être presque parfait à mes yeux.

Elle serait parfaite si elle me laissait une place dans le lit...

Hunters - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant