Chapitre 23

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« Vendre son âme au diable ». Je n'ai jamais trouvé de sens plus juste à cette expression que ce que je venais de faire. Pourtant, ce n'est pas la première fois que je le fais et j'aurais dû retenir la leçon. J'aurais dû...

« - Kyle ? »

La voix d'Amélia me rappelle à l'ordre. Présentement, je ne sais pas lequel de nous deux est le plus inquiet pour l'autre. J'ai l'impression que tout mon être me trahit et que d'une seconde à l'autre, elle va me faire son regard inquisiteur en me disant « Je sais. » et j'aurais plus qu'à passer aux aveux. Je déteste quand elle fait ça.

« - Tu m'écoutes ? demande-t-elle
- Désolé... J'étais ailleurs.
- Tu es sûr que tout va bien ? »

Non. Rien ne va.

« - Ouais, ne t'inquiète pas. C'est juste que... Ces jours-ci n'ont pas été faciles. »

Un sourire faiblard en guise de réponse, c'est tout ce que je peux lui offrir. Un faible sourire cachant la moitié de ma peine. Honteux de mon mensonge à son égard, je baise machinalement les yeux vers mes pieds. Combien de temps devrais-je ou pourrais-je endurer ça ? Combien de temps ?

Sentant sa main sur ma joue, je relève brusquement le regard vers elle et la vois, tout sourire. Je vois Amélia, mourante me sourire et me disant :

« - Ensemble, envers et contre tout. »

A cet instant, le monde se dérobait sous mes pieds. Une nouvelle fois. À cet instant, j'aurais aimé la prendre dans mes bras, j'aurais aimé lui dire qu'elle avait raison, que je n'avais pas oublié. J'aurais aimé lui dire que quoiqu'il nous arrive, ça sera toujours nous contre le monde.
Mais ça serait lui mentir et je ne peux tolérer un mensonge de plus. J'en serais incapable.
Alors je reste dans mon silence, attrape sa main, la serre dans la mienne et j'ai comme l'impression que mon cœur se compresse sous la chaleur de ses doigts. D'ailleurs, parlant de ses doigts...

« - Ils ressemblent à des saucisses cocktails... soufflais-je à haute voix
- Quoi ?
- Ahaha ! Tes doigts ! Regarde, ils sont tous petits et tout boudinés ! fis-je en éclatant de rire en remarquant ce détail seulement maintenant
- Comment...Sale type ! »

Elle me frappe avec l'oreiller et éclate de rire aussi.

Je l'ai souvent dit mais Amélia n'est pas « belle ». Elle est normale est bourrée d'imperfections. Elle ronfle comme un homme, mange par moments comme un cochon, à des doigts qui ressemblent à des saucisses cocktails... Oui, je n'aimais pas un canon de beauté mais je crois que c'est justement ça qui m'a fait tomber amoureux d'elle. Toutes ces « tâches ». Tout ce que je trouve drôle et amusant chez elle. Son comportement, son rire étrange, sa voix de poissonnière de marché quand elle me crie dessus. Un ensemble de chose tout à fait étrange mais qui font d'elle ce qu'elle est.

« - Ce que j'ai hâte de sortir d'ici ! Me dégourdir les jambes ! Qui aurait cru que je dirais que chasser des « esprits » me maque hein ? dit-elle sur un ton amusé »

Sauf que moi, ça ne m'amuse pas. Plus maintenant.

« - Tu devrais te reposer avant de penser à courir partout. Tu serais capable de te casser quelque chose encore, répondis-je en regardant ailleurs
- Pas grave ! Je n'aurais qu'à demander s'ils ne font pas les abonnements catastrophe ici ? Ahahaha !
- Ce n'est pas drôle ! signalais-je en haussant la voix
- Hé ! Je rigole, détends-toi. Je te trouve bizarre Kyle... Qu'est-ce qu'il y a ? »

Elle cherche mes yeux sans les trouver, je fais tout pour ne pas croiser son regard car j'ai l'intime conviction que dès que son regard se posera sur moi, je serais découvert. Tout sera découvert.

« - Je reformule ma question, finit-elle par dire sur un ton plus sérieux. Qu'est-ce que tu ne me dis pas ? »

Ça y est. Nous y sommes.

« - Rien, rien... Je suis désolé, je n'aurais pas dû...
- Pas de ça avec moi. Ne me mens pas. »

Ses deux mains saisissent brutalement mon visage et elle le tourne face à elle. Elle m'oblige à la regarder. Elle sait que je mens. Elle sait que je lui cache quelque chose. Mais elle ne sait juste pas quoi.

Je me mords la lèvre inférieure, cherche une issue de secours, tente de regarder ailleurs. Partout et n'importe où à la fois. Là où je n'aurais pas à lui faire face. Là où je n'aurais pas à lui dire ça.
Pas moi. Je ne veux pas lui dire.

J'ai l'impression d'être en pleine crise de panique. Mon cœur s'emballe, une suée froide me coule le long du dos, je cherche mes mots, ma respiration s'accélère. J'ai l'impression d'étouffer.

« - Dis-moi. »

Les secondes qui s'écoulent me paraissent comme une éternité et puis soudainement... Tout prend fin. Une larme coule le long de ma joue, je la sens. Traîtresse.
Une deuxième suit.

Et dans le silence morbide de la chambre blanche, je finis par lui dire :

« - Tu vas mourir Amy. »

Hunters - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant