Chapitre 2

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J'avais promis à Raya, en l'emmenant avec moi, de lui faire découvrir ce monde qu'elle ne connaissait pas. Contrairement à moi, elle, elle fut une humaine vivant dans le monde des esprits et moi, un esprit vivant dans le monde des humains. J'avais trouvé en Raya une alliée, une amie aussi et un soutien, du moins, quelqu'un qui pourrait comprendre.

Quand je suis revenu, la question que tout le monde s'est posée c'est « comment ? » et nous-mêmes encore, n'avons pas vraiment compris. Avec la destruction du portail principal, je pensais que je resterais coincé sur Esteria et que ma vie allait se finir là-bas mais il s'est avéré que l'on a profité de l'une de ses nombreuses failles existant encore. Elles sont de moins en moins fréquentes mais se produisent toujours de temps à autre.

On avait passé des mois à calculer quand la prochaine apparaîtrait et où exactement pour être prêt et je dois avouer que notre retour tient plus du miracle que du réel calcul scientifique sur lequel on s'était acharné tous les deux.

« - Alors ? Où est-ce que tu m'emmènes aujourd'hui ? En forêt encore ? demanda-t-elle curieuse de savoir où on allait
- Hum non. Pas aujourd'hui ! Aujourd'hui, on va aller s'amuser !T'en dis quoi ?
- S'amuser ? Tous les deux ?
- Je tiens ma promesse ! C'est toi qui m'as demandé de te montrer les endroits les plus drôles que je connaisse non ?
- C'est vrai et je crois que je ne te remercierais jamais assez.
- C'est plutôt moi qui devrais dire ça. »

Le parc d'attractions paraît bondé comme à son habitude. À croire que les gens campent sur place pour y rester des jours, c'est incroyable ça. J'ai horreur de la foule et...de toutes ces attractions aquatiques mais la dernière fois que j'y suis venu... La dernière fois que j'y vins... C'était avec elle.

Raya adopte alors le même comportement enjoué et émerveillé qu'avait Amélia ce jour-là. Celui d'une enfant découvrant un autre monde et s'amusant d'un rien. À la seule différence qu'elle trouvait la mascotte mignonne. Même en un an, cette horrible mascotte n'a pas changé et étrangement, quand je la vois nous passer devant, je revois May, lui courant derrière.

Un long soupir s'échappe de moi et je sens la main de Raya sur mon épaule, un air désolé sur le visage.

« - Si tu veux... On peut rentrer. Je veux dire, je pourrais revenir un autre jour toute seule. Cela ne me pose aucun souci.
- Non, non ! Ne t'inquiète pas. Je me sens juste nostalgique ahahah ! C'est fou, cela ne fait qu'un an pourtant. »

Un an qui m'a paru une éternité. Une éternité loin d'elle.

Souris Kyle. La vie est trop courte pour se lamenter et tu le sais. Reprends du poil de la bête !

« - Aller vient ! On va essayer...dit... Celle-là !
- Ce qu'ils appellent « maison hantée » ?
- Ouais, tu vas voir, c'est drôle ! »

Je l'entraîne avec moi jusque dans la file qui ne dure qu'une petite vingtaine de minutes.
À l'intérieur, tout était sombre mais Raya et moi, ne sommes pas humains et avons l'avantage de pouvoir voir dans l'obscurité ce qui gâche un peu les effets de surprise même si quelques petites choses ont su nous faire sursauter. Raya a même frappé un mannequin par réflexe. On a tout de suite entendu les murmures à côté de nous. Avoir une bonne vue et une bonne ouïe n'est pas spécialement un cadeau pour le quotidien de la vie humaine.
On fit le tour de l'attraction en une petite demi-heure et en sortant, on s'installa tous les deux sur un banc, non loin d'une fontaine.

« - Ahahahaha ! En tout cas, c'était drôle ! Un peu bizarre mais drôle ! Comment ils appellent ces mannequins faits d'ossements déjà ? dit-elle morte de rire
- Des squelettes ? fis-je en souriant
- Ah oui, surtout ça ! Ahahahaha ! Mais c'est fou non ? Quand on était dedans, je n'ai vu que des gens en couple à l'intérieur. Se tenant par la main tout ça, tout ça.
- Ahahaha, c'est parce qu'il y a des choses sur ce monde que tu ne sais pas encore. Je t'apprendrais les « traditions » et ce qui se fait communément.
- Ok. Moi ça me va. Tu veux quelque chose à boire ? Je vais chercher
- Laisse ! Je vais y aller ! Tu veux quoi toi ? demandais-je en me levant brusquement
- Oh, si tu insistes... Un jus ?
- Va pour un jus ! Je reviens hein !
- Je t'en prie ahahaha ! »

Je cherche mon porte monnaie dans la poche arrière de mon jean et me dirige vers le stand le plus proche quand, la tête dans le comptage de la monnaie, je percute quelqu'un. N'ayant pas le temps de m'excuser, j'entends alors :

« - Bon sang ! Vous ne pouvez pas regarder où vous allez ?! »

Je ne reconnais que trop cette intonation, cette voix agressive et ses cheveux châtains en bataille et mal coiffés.

Amélia.

Mon cœur rate un battement quand nos yeux se croisent et elle semble tout aussi étonnée que moi.

« - Amy...
- Oh... »

« Oh » Je n'ai le droit qu'à un « oh » maintenant. Sa voix criarde de marchande de poisson disparaît pour une voix calme, paisible et presque neutre.

« - Est-ce que ça va ? Enfin... Je suis désolé... Je n'ai pas vu où j'allais !
- Il n'y a pas de mal... Je ne pensais pas que tu serais ici aujourd'hui.
- Pareil... Tu es venue seule ou ... ?
- Non, non, seule. Et toi ?
- KYLE ! »

La voix de Raya retentie dans la foule et on fait volte-face tous les deux pour la voir arriver en courant vers nous, toute souriante. Elle se met à mes côtés et tend la main vers Amélia.

« - Tu dois être la fameuse Amy ? Kyle m'a tant parlé de toi !
- Ah..... »

À son expression en serrant la main de Raya, certainement pas pure politesse, je devine exactement ce qu'elle pense et j'ai envie de lui dire qu'elle se trompe. J'ai envie de lui parler de Raya mais quoi que je dise, quoi que je lui dise, j'aurais l'impression de m'enfoncer encore plus.

« - Donc...vous êtes là... Tous les deux c'est ça ? demanda-t-elle
- Ouii ! Kyle m'a dit qu'il avait pris beaucoup de plaisir en venant ici une fois !
- Kyle a dit ça hein ?
- Ah bah... Pourquoi tu ne resterais pas un peu avec nous ? »

L'innocence parfois enfantine de Raya est touchante mais là, j'ai l'impression qu'elle achève le peu qui aurait pu être reconstruit. Et pourtant, je reste muet. Pourquoi ? Il y a des mois en arrière j'aurais hurlé, j'aurais crié, j'aurais forcément dit quelque chose mais là, rien ne sort.
Mon cerveau est aux abonnés absents et mon cœur pleure, silencieusement.

« - C'est gentil mais je ne faisais que passer dans le coin. Amusez-vous bien...tous les deux ! »

Chaque mot paraît aussi tranchant qu'une lame et tandis qu'elle se retourne et disparaît dans la foule, j'agis instinctivement et me mets à la poursuivre jusqu'à l'entrée du parc où même mes cris ne semblent l'alerter.

« - Amy attend ! Laisse-moi t'expliquer ! S'il te plaît ! »

J'essaye de l'attraper mais elle se dégage avec une facilité qui m'épate et me surprends. D'où sait-elle faire ça ?

« - Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit à dire. Tu t'amuses, c'est cool, je suis heureuse pour toi. Vraiment. Profites-en. D'ailleurs, tu devrais aller la retrouver.
- Ce n'est pas ce que tu crois ! Laisse-moi... Juste...
- Qu'est-ce que tu penses savoir de ce que je crois ou pas ?
- Aux dernières nouvelles, je savais encore ce que tu ressentais.
- Ah ouais ? Bah t'es mal informé je crois parce que tu savais ce que je ressentais, tu m'aurais laissé partir. Au revoir Kyle. »

Elle monte dans le premier bus qui passe juste sous mon nez et disparaît dans la nuée de gens qui la suivent de près dans sa démarche. Le bus démarre et s'évapore au coin d'une rue.
Je ne sais pas pourquoi mais à cet instant, je me suis sentis idiot. Idiot et bête, de penser qu'un seul instant j'aurais pu lui faire comprendre. Sur le trottoir, je me laisse tomber sur les fesses, m'asseyant un instant pour me remettre.

Combien de fois m'étais-je passé ce scénario en tête ? Combien de fois ai-je imaginé mes retrouvailles avec Amélia ? Combien de fois ai-je lutté pour me souvenir de ses lèvres, de son sourire et de son ton provocateur ? Combien de fois ai-je lutté pour enfin pouvoir lui dire, droit dans les yeux, « je t'aime » ?

Que suis-je bête...

J'ai tué Amélia cette nuit-là mais elle, contrairement à moi, n'a pas le droit à une seconde chance.
J'ai tué Amélia cette nuit-là et je devrais en porter le poids toute ma vie.

Ai-je seulement le droit de prétendre que je l'aime encore après tout le mal que je lui ai fait ? Comment le pourrais-je ?

Hunters - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant