Shane
Ce matin, le soleil se lève dans un ciel sans nuages. Je marche à vive allure entre les entrepôts abandonnés du port, la douce lueur orangée du début du jour éclairant mes pas. L'endroit est désert. Après m'être tout de même assuré de ne pas avoir été suivi, je tourne à l'angle de l'une de ces gigantesques bâtisses en acier, puis pousse une lourde porte grinçante avant de m'engouffrer dans un petit espace clos. J'inspire profondément tout en faisant quelques pas dans la pénombre, jusqu'à me trouver face à de grandes lames de plastique que j'écarte pour enfin pénétrer dans le repère.
— Ah Shane ! Mon ami...
Robin, comme à l'accoutumée, trône sur son canapé au fond du hangar et m'accueille à bras ouverts. Les rayons ocre du soleil transpercent les fenêtres horizontales, tout en haut des murs de taule. La poussière qu'ils illuminent semble stagner dans l'atmosphère comme si le temps s'était arrêté. Robin me fait signe d'avancer d'un geste de la main. Je m'exécute et un frisson d'effroi me remonte brusquement la colonne vertébrale lorsque j'aperçois deux de ses sbires sur le côté, en train de maintenir une personne à genoux dont j'ai du mal à discerner le visage. Mon cœur accélère la cadence et je glisse nerveusement les mains dans les poches de mon manteau, tout en m'avançant avec vigilance vers Robin.
— Je suis heureux de te voir.
Il me donne une accolade amicale, je la lui rends. Lorsqu'il se recule, mon regard dérape sur l'individu agenouillé. Je déglutis avec difficulté en même temps que mon cœur rate un battement. Il a le visage ensanglanté, méconnaissable. Son œil droit est tuméfié, sa chemise est déchirée et il porte de nombreuses traces de coups sur le torse. De son œil gauche, il balaie le sol, tout en pleurant et gémissant de détresse. Robin ne lui prête aucune attention. Son habituel sourire pervers ancré sur le visage, il enroule son bras autour de mes épaules et commence :
— Tu tombes à pic, Shane. Zara m'a dit que tu avais récupéré quelque chose pour moi hier ?
J'acquiesce d'un signe de tête tout en parant mon faciès de l'expression la plus neutre possible. Je passe une main dans mon dos, sous mon manteau et tire un Beretta 92 de l'arrière de mon jean que je tends par la suite à son nouveau propriétaire. À la vue du neuf millimètres, Robin étire ses lèvres en un sourire carnassier. Mes yeux se posent discrètement sur le pauvre homme à terre, près de moi, pendant que mon chef s'empare de son nouveau jouet. Il tourne ensuite les talons sans jamais détourner son regard de l'arme mortelle avant de reprendre sur un ton détaché, tout en désignant l'homme agenouillé d'un mouvement de canon.
— Au fait, Shane, je te présente Aldo. Aldo, Shane.
Il marque un temps d'arrêt avant de poursuivre à voix basse :
— Mais... Vous vous connaissez déjà si je ne me trompe pas ?
À cet instant précis, si la mort était une personne, je jurerais sentir son étreinte dans mon dos. Aldo. Les souvenirs refont surface en moi à la manière d'un brusque raz-de-marée. Cette nuit-là, rien ne s'était déroulé comme prévu. Aldo, Tony et moi devions faire main basse sur un Renoir appartenant à un collectionneur privé de la Cinquième Avenue. Mais nous n'étions pas assez préparés pour ce coup-là. La toile, qui devait rejoindre le Metropolitan Museum pour une exposition temporaire, avait été disposée dans un coffre sécurisé, doté d'une alarme dernière génération que nous n'avions... Que je n'avais pas su désactiver. Lorsqu'elle s'était déclenchée, Aldo avait soudainement perdu ses moyens et s'était précipité à l'extérieur pour se rendre aux agents fédéraux. Tony et moi avions tenté de le raisonner... Sans succès. Ainsi, nous avions réussi à nous échapper avant l'arrivée de la police, laissant Aldo faire face à son destin.
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Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉE
RomanceRoxane vit dans un des plus beaux appartements de l'Upper East Side de New York, entourée d'un père aimant et d'une ribambelle de psychiatres qui tentent en vain d'apprivoiser les démons qui l'habitent. Shane fait partie d'un des gangs les plus dan...