Chapitre 20 - Partie I

458 62 44
                                    


Shane


Le soleil s'évanouit lentement à l'horizon et les avenues, encerclées par les éminents bâtiments de béton, sont d'ores et déjà plongées dans un clair obscur des plus sinistres. Dissimulé dans une ruelle adjacente au Nest, je m'appuie lourdement contre le mur de briques, les yeux rivés vers le ciel encore rouge-orangé de la fin de jour.

Après avoir garé la voiture à l'autre extrémité de cette voie étroite, Zara m'a sommé de l'attendre ici pendant qu'elle se rendrait au club, récupérer Roxane. Cela fait maintenant plusieurs longues minutes qu'elle a disparu derrière la lourde porte noire éclairée par son néon blanc tandis que moi, je reste là, pieds et poings liés face à la situation. Je pousse un profond soupir et enfouis les mains dans les poches de mon manteau. Si seulement je n'avais pas été aussi naïf... Roxane ne serait sûrement jamais venue jusqu'ici. Elle n'aurait jamais franchi ce seuil maudit, et elle ne se demanderait pas où j'ai bien pu aller ni pourquoi je l'ai encore abandonnée.

Tout à coup, une voiture de police passe devant moi, les gyrophares allumés, et m'extirpe de mes pensées. Je me redresse et m'avance à pas feutrés vers le bout de la ruelle, une légère appréhension au ventre. Je me penche et observe l'avenue du Nest avec discrétion. La voiture de police passe lentement devant la façade noire du club, puis tourne à l'angle sans plus de cérémonial. Le cœur lourd, je me recule d'un pas et me repose contre le mur. Les minutes semblent durer des heures. Mais que fait donc Zara ?

En proie à une terrible angoisse qui monte un peu plus en moi à chaque seconde qui passe, je baisse les yeux sur mes pieds et me prends de passions pour mes chaussures ; vain moyen de tromper mon esprit tourmenté. Mon regard accroche alors une petite note de couleur qui contraste dans le sombre caniveau de la ruelle. Curieux, je m'accroupis et observe avec attention un papillon de nuit, gisant sur le bitume froid. Ses superbes ailes meurtries s'agitent à peine, tandis qu'il agonise cruellement sous les derniers éclats du soleil couchant. Je déglutis avec difficultés ; ce papillon ravive en moi le souvenir de cette soirée qui, parée du voile éphémère de l'insouciance et du bonheur, avait propulsé Roxane dans un enfer perfide, dissimulé derrière le parfum enivrant d'un amour naissant.

Sous mon regard coupable, l'aile colorée du petit insecte oscille alors une dernière fois avant de se figer dans la mort.

Un battement d'ailes. Un simple battement d'ailes et tout peut prendre fin. Tout peut disparaître.

Je demeure un instant immobile, incapable de détacher mes yeux de ce minuscule cadavre coloré. Un profond soupir de résignation s'échappe de mes lèvres face à la sombre besogne de la faucheuse qui emporte sous sa cape les êtres les plus purs de ce monde, sans jamais trop se soucier de ceux qui affirment leur pouvoir en son nom.

Au même instant, un claquement de porte suivi de près par l'écho de pas précipités se fait entendre en provenance de l'avenue. Je me relève en détachant enfin mon regard du petit insecte et prête une oreille attentive au mouvement qui se rapproche de moi.

— Dépêche-toi, bon sang.

Je fais quelques pas en arrière pour me fondre dans l'ombre de la ruelle juste avant de voir surgir Zara, tenant par le coude ma Roxane dans un piteux état. Ses yeux vides de toute expression balaient devant elle, sans but. Elle suit Zara, bras ballants, à l'image d'un vulgaire pantin. Son gilet tombe à moitié de ses épaules nues, ses jambes sont recouvertes de traces noires, ses pieds blessés trébuchent sur le trottoir râpeux et sur son cou...

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant