Chapitre 24 - Partie II

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Roxane


- Au clair de la lune, mon ami Pierrot...

Ma voix déraille. Je fixe le plafond.

- Prête-moi ta plume, pour écrire un mot...

Je n'ai rien avalé depuis des jours. Mes forces m'abandonnent un peu plus à chaque seconde qui passe. Je ne parviens plus à quitter mon lit. Mon corps est épuisé, mon esprit aussi. Bon nombre de fois au cours de ces derniers jours, les gardiens sont venus me secouer pour me réveiller, me forcer à me tenir sur mes pieds, me gaver de nourriture immonde, mais rien n'y fait.

Je n'ai plus envie. Plus envie de rien.

- Ma chandelle est morte, je n'ai plus de feu...

Les verrous de ma cellule coulissent pour la énième fois cette semaine. Je reste immobile. Mes yeux roulent dans mes orbites, sans but. Mon visiteur s'approche à pas feutrés. Il hésite un instant, puis décide de prendre place sur le lit, à mes côtés.

- Roxane... Ma petite. Tu m'entends ?

Le sourire bienveillant de Gary apparaît dans mon champ de vision et contraste une nouvelle fois avec ce lieu hideux. Il se tient là, les yeux rivés sur moi et l'air contrit. Avec délicatesse, il pose ensuite ce qui semble être un plateau-repas sur la chaise, près de mon visage.

- C'est l'heure de manger... Tu veux bien essayer ?

Murée dans un silence douloureux que je ne veux plus quitter, je ne réponds pas. À quoi bon, de toute façon ? Le surveillant pousse alors un profond soupir et après quelques brèves secondes d'hésitation, il jette un rapide coup d'œil dans son dos avant de murmurer, d'une voix à peine audible :

- Regarde, j'ai réussi à mettre la main sur ce que tu m'as demandé l'autre jour. Crois-moi, ça n'a pas été facile et je dois le ramener le plus rapidement possible. Il ne faut pas que l'on s'aperçoive qu'il a disparu, d'accord ?

Devant le néant de mes réactions, Gary se résigne et dépose quelque chose sur mon lit avant de se relever avec peine. Mes yeux n'ont pas dévié du plafond. Je n'ai même pas le courage de regarder le gardien s'éloigner de moi et quitter ma cellule, m'abandonnant de nouveau à ma triste solitude.

- Je reviens dans une heure pour le récupérer. Essaye de manger quelque chose d'ici là, s'il te plaît, Roxane.

La lourde porte se referme lentement derrière lui et aussitôt, le silence infini reprend ses droits au sein de mon enfer.

Puis les secondes s'écoulent comme des heures. Soudain, engourdie par le manque de mouvement, ma jambe se met à convulser nerveusement, bousculant au passage ce que Gary a déposé sur mon lit. Je ferme alors les yeux, mon cœur se serre dans ma poitrine. D'une main tremblante, je remonte jusqu'à mon visage ce qui ressemble à une lourde étoffe. Le tissu rugueux, imprégné de souvenirs, caresse le moindre centimètre de ma peau. Mes doigts parcourent chacune des imperfections du lainage, comme pour tenter de lire les récits d'une vie, inscrits en braille au cœur de ses fibres. J'effleure les coutures, puis les boutons qui ornent un pan de la longueur du tissu. Ses poches, son col... J'ouvre les yeux.

Mon manteau.

Un petit soupir s'échappe d'entre mes lèvres abimées. Mon autre main rejoint la première et se resserre autour de l'étoffe usée dans laquelle j'enfouis mon visage. Les derniers résidus d'odeur qui subsiste encore dans le tissu me parviennent comme l'écho d'une mélancolie lointaine. Mes bras emprisonnent le vêtement contre mon cœur, dans une longue étreinte douloureuse. Les larmes qui s'échappent maintenant de mes yeux sont absorbées par l'épais lainage qui les efface aussitôt, comme il l'a toujours fait.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant