Chapitre 7 - Partie II

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Roxane


Mes pas font écho à ceux de Shane dans cette petite rue adjacente à Utica Avenue. Sa démarche est rapide. Les mains dans ses poches, il ne m'adresse pas un seul regard, raison pour laquelle je préfère me tenir en retrait dans son dos. Au bout de quelques minutes, il s'arrête devant un immeuble dont la façade de briques rouges semble avoir déjà bien souffert des assauts du temps. Une lanterne jaune est suspendue à une gouttière et illumine faiblement le clair-obscur de la fin du jour. Shane s'engouffre dans des escaliers en béton qui mènent tout droit à un sous-sol ombreux, jusqu'à disparaître complètement, comme englouti par la pénombre. 

Un léger sourire se dessine sur mes lèvres quand que je dévale à mon tour les marches, entraînée par les vagues d'adrénaline qui abreuvent mon cerveau et en dépit des perpétuelles alertes de prudence de ma conscience. Une fois ma vue habituée à l'obscurité, je détaille l'ombre de Shane, fondue dans le décor à la perfection ; il est adossé contre le mur de brique juxtaposé à une petite porte en métal rouillé. Lorsque j'arrive enfin à sa hauteur, je parviens à déchiffrer les marques d'épatement ironique sur son visage ; sans doute pensait-il que je ne franchirais pas la première marche. Je décide donc de ne pas relever. 

Il se redresse puis tambourine contre le battant métallique. Après quelques secondes, la porte s'ouvre lentement sur un homme d'une cinquantaine d'années, trapu et bien plus petit que Shane, vêtu d'un t-shirt blanc à l'effigie des Yankees. Une large tache de trace de café en orne la couture, qui recouvre son pantalon usé et trop grand. Son crâne dégarni, sa fine barbe clairsemée de filaments d'argent et ses yeux globuleux lui confèrent une expression de bonhomie attendrissante. Tout cela bien sûr, si l'on omet la peur qui transparaît dans son regard à la vue de Shane. Le petit homme commence alors à balbutier, secoué par une cascade de tremblements :

— Shane ! Je... Qu'est-ce que tu veux ? Je vous apporte tout le mois prochain ! Je n'ai rien sur moi !

— Jack...

— Je vous paierai tout ce que je vous dois, je te le jure ! Laisse-moi du temps, je t'en prie ! J'ai une famille ! Ne me fais pas de mal, je...

— Jack !

Shane s'approche précipitamment de l'homme et entoure ses épaules charnues de son bras avant de le presser légèrement contre lui. Ce dernier, en nage, fixe le néant devant lui de ses yeux presque exorbités.

— Allons, allons ! Calme-toi ! Tu vois bien que je ne suis pas là pour ça.

Il me désigne du doigt et le dénommé Jack pose alors sur moi un regard vide de toutes autres expressions que la peur. Au même moment, des frissons me hérissent les poils. Une montée d'angoisse s'immisce en moi, mais je décide de rester muette, les mains nerveusement agrippées à mon sac. Shane se tourne vers l'intérieur, le bras toujours sur les épaules de Jack, qui suit le mouvement en titubant.

— J'ai juste besoin d'une petite table, tranquille. Je suis sûr que tu peux me trouver ça.

Lorsqu'il relâche enfin son étreinte, le petit homme s'empresse de remettre une distance entre eux. De grosses gouttes de sueur roulent sur son visage potelé. Gêné, il me jette un rapide coup d'œil avant de répondre à son interlocuteur :

— Oui, je... Bien sûr. Ma meilleure table. Venez, suivez-moi.

Il disparaît ensuite derrière un épais rideau en velours rouge. Shane m'invite à emboîter le pas au maître des lieux d'un geste théâtral, s'évertuant à effacer les quelques soupçons d'appréhension que ses yeux ont décelés en moi. Je profite alors de passer à sa hauteur pour lui glisser :

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant