Chapitre 19 - Partie I

444 56 70
                                    


Roxane


Mon pied nu heurte le rebord du trottoir et la douleur m'arrache un cri strident. Je titube et vacille jusqu'au mur de briques, avant de me laisser lourdement tomber sur le bitume glacé. Les murmures qui encombrent mon esprit s'amalgament au bourdonnement de mes oreilles, et mes poumons souffrent de leur incapacité à retrouver un rythme respiratoire normal.

— C'est pas vrai...

Je replace mes cheveux emmêlés sur l'arrière de mon crâne et attrape mon pied endolori. Les larmes viennent de nouveau humidifier mes prunelles quand je découvre avec horreur les écorchures noirâtres qui s'étendent de mon talon jusqu'à mes orteils. Épuisée, j'efface les gouttelettes qui ruissellent sur mon visage de la manche de mon gilet et me penche pour inspecter de plus près mes blessures. Comme je regrette de ne pas avoir eu le courage de remonter me chausser avant de prendre la direction de l'adresse indiquée dans son message...

Soudain, le bruit d'une porte s'ouvrant à la volée attire mon attention. Un peu plus loin dans la rue, trois hommes hilares quittent ce qui ressemble à un club, dont la devanture plus noire que la nuit est éclairée par une simple lumière blanchâtre. C'est ici, cela ne fait aucun doute. J'appuie ma tête contre le mur en pinçant les lèvres. Mon crâne est sur le point d'exploser, martyrisé par la migraine qui l'enserre depuis plusieurs heures à présent. Le petit groupe chahute devant moi et je prie intérieurement pour que ces lascars ne viennent pas s'ajouter à ma liste de problèmes du jour. En vain. Lorsque je relève les yeux, l'un d'entre eux arrête ses acolytes d'un geste de la main, puis me désigne du doigt en souriant.

Il ne manquait plus que ça.

Je ferme les paupières, éreintée, toujours incapable de reprendre mon souffle. Mon instinct me pousse à me remettre sur pied malgré la douleur alors qu'ils avancent vers moi, tels des loups guettant leur proie. Leur regard se promène de partout sur mon corps. Mal à l'aise, je tire maladroitement sur mon gilet pour dissimuler mes jambes nues et commence à faire quelques pas en direction de l'entrée du club. Au même instant, l'un d'entre eux vient se poster devant moi, me barrant du même coup le passage :

— Qu'est-ce que tu fais dans le coin, jolie colombe ? Tu es perdue ? On peut t'aider peut-être.

Je m'arrête net et me concentre pour bien discerner ses propos, noyés dans les murmures incompréhensibles de mes démons. J'ai déjà connu cette sensation. Cette peur viscérale qui remonte au fond de ma gorge, la même que celle qui me déchirait le ventre la nuit où j'ai rencontré Shane. Mais cette fois, je ne tremblerais pas. Je ne le décevrai pas. Je n'ai plus rien à perdre. Je prends une profonde inspiration et mes mains rehaussent l'étoffe sur mes épaules tandis que je rétorque, d'une voix tranchante :

— Non, j'ai pas besoin de vous. Je suis attendue.

La surprise se lit sur son visage, il hausse un sourcil, jette un rapide coup d'œil à ses acolytes qui m'entourent peu à peu avant de reprendre en gloussant :

— Tiens donc, et par qui ?

Je déglutis, tentant vainement de me focaliser sur la discussion et non sur les sentiments d'insécurité et d'appréhension, mêlés au tumulte de mon esprit, qui me soulèvent l'estomac.

— Mon patron.

Je désigne la devanture du club d'un geste du menton. Mon interlocuteur se retourne dans la direction que j'indique, puis reporte son attention sur moi en ricanant :

— Toi, tu bosses pour lui ?

— Précisément. Et là, tout de suite, il m'attend. Donc, dégage de mon chemin.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant