Shane
Les pâles rayons de l'aurore, qui se reflètent sur la baie de New York, m'éblouissent de leur éclat virginal. Seul l'écho de mes pas me tient compagnie, tandis que j'avance lentement entre les immenses abris désaffectés du port.
Je déteste me lever tôt.
Il y a une heure de cela, Robin m'a téléphoné pour me demander de le rejoindre au hangar, le plus rapidement possible. Résultat, je n'ai pu dormir que deux heures la nuit dernière et la fatigue ne semble pas vouloir relâcher son étreinte. Quelques mètres plus loin, je pousse la lourde porte d'acier et lorsque je pénètre enfin dans le repère de Robin, je constate à ma grande surprise que je ne suis pas le seul à avoir manqué de sommeil. Desmond est déjà là, en pleine discussion avec Robin, qui lui est installé dans le canapé du fond, comme à l'accoutumée. Je prends une profonde inspiration avant de m'avancer pas à pas, les mains dans les poches de mon manteau noir. Lorsqu'il se rend compte de ma présence, Robin relève la tête et ses iris gris me détaillent de la tête aux pieds, sans afficher une quelconque expression. Desmond tressaille à ma vue et se redresse rapidement. Mon attention oscille entre les deux hommes. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien comploter tous les deux ?
— Shane... mon frère.
Robin me fait signe d'approcher, tandis que Desmond s'efface indolemment par le côté. Après avoir toisé ce dernier d'un regard noir, je me laisse tomber sur un des fauteuils miteux qui font face au canapé de Robin. Cette configuration de salon de thé m'a toujours fait beaucoup rire. Comme si s'asseoir autour des caisses de bois, qui font figure de tables basses, présageait un bon moment entre amis... Robin allume une cigarette et en avale une longue bouffée avec délectation :
— Tu te souviens du jour où je t'ai ramassé ?
Je récupère la sèche qu'il me tend et la porte à mes lèvres avec précaution, tout en m'enfonçant davantage dans le vieux fauteuil.
— Tu veux dire le jour où tu as vraiment failli me tuer ?
— Oui ! Précisément, ce jour-là ! T'avais quoi... 15 ans ?
J'acquiesce. Il émet un petit rire narquois, son regard glacial ne quitte pas mon visage. Pendant un court instant, il semble perdu dans ses pensées :
— Oui... Tu traînais dans la rue au milieu des ordures, comme un sale chien d'égout, et tu volais à la sauvette pour t'en sortir.
Je pince les lèvres et baisse la tête. Ces paroles abjectes me précipitent de nouveau dans les méandres des souvenirs de cette époque. Robin se redresse sur le canapé et appuie ses coudes sur ses genoux, sans me quitter des yeux, à l'affût du moindre signe de faiblesse.
— Mais tout ça... C'était avant. Les temps changent, hein, Shane ? En quelques années, tu es passé de cette pauvre raclure de bitume à... ça.
Il me désigne d'un nonchalant mouvement du doigt. Je reste muet, hypnotisé par son regard de glace. Il s'appuie soudainement contre le dossier du canapé, dans une posture somme toute apathique, en reprenant :
— Enfin, dans tout ça, il y a quand même bien une chose qui n'a pas changé chez toi, Shane !
Je lève un sourcil interrogateur vers lui en pinçant un peu plus mes lèvres sur la cigarette. Robin fixe maintenant le plafond, exaspéré par mon manque de clairvoyance.
— Oh arrête, tu sais très bien de quoi je parle. Fais pas ton innocent.
— Non Robin, je ne vois pas de quoi tu parles.
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Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉE
RomanceRoxane vit dans un des plus beaux appartements de l'Upper East Side de New York, entourée d'un père aimant et d'une ribambelle de psychiatres qui tentent en vain d'apprivoiser les démons qui l'habitent. Shane fait partie d'un des gangs les plus dan...