Chapitre 15 - Partie II

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Roxane


Vous n'avez pas de nouveaux messages.

Mon téléphone s'envole pour finir sa course dans les tréfonds de mon sac, disposé à mes pieds. Je passe une main sur mon front, puis dans mes cheveux, avant de me laisser tomber avec lourdeur sur le canapé en velours bleu.

— J'ai du thé, du café ou des infusions. Ah, et il me reste une bière si tu préfères ?

— Oui, une bière, ce sera parfait.

Jordan s'affaire depuis plus de dix minutes dans la cuisine de son appartement. En attendant son retour dans le salon, j'attrape un coussin que je serre contre ma poitrine, comme pour étouffer du même coup les sentiments contradictoires qui remuent toujours en moi.

Le regard braqué sur le gigantesque écran plat qui surplombe l'âtre de la cheminée moderne, je me laisse happée par les images qui dansent sous mes yeux. Les claquements des placards et le tintement de la vaisselle en provenance de la cuisine viennent se mêler au discours du présentateur télé et des reporters de la chaîne d'information. Je pousse un profond soupir devant le spectacle des atrocités habituelles que la société moderne s'évertue à nous offrir. Aujourd'hui, une vingtaine de personnes ont perdu la vie dans une fusillade en Floride. Des incendies gigantesques ravagent la Californie, chassant des milliers d'individus loin de leur foyer en cendres. Ponctionnés par l'état de l'Illinois et par la hausse de la taxe fédérale, de nouveaux sans-abris envahissent les rues de Chicago, telle une armée de zombies ahuris. Une jeune femme souffrant de dédoublement de personnalité sera incarcérée à vie dans une unité psychiatrique, suite à l'assassinat sordide de son compagnon dans le Maine. Le bal des horreurs se poursuit sur l'écran de télévision, tandis que je reste murée dans le silence. Malgré les sermons sociétaux de ma conscience — oui, je fais partie des chanceux de ce monde. Non, je n'ai pas le droit de me plaindre — rien n'est en mesure de me faire relativiser les écorchures de mon âme. Rien, sauf cet infime espoir de voir s'afficher sur l'écran de mon téléphone autre chose que ce même vide intersidéral, dans lequel est plongé mon cœur depuis ce matin.

Je jette un rapide coup d'oeil en direction de mon sac à main. Peut-être a-t-il vibré sans que je m'en rende compte ? Poussée par ma curiosité dévorante et par les puissants battements dans ma poitrine, je me penche pour récupérer le précieux petit objet enfoui sous le désordre qui règne dans ma besace. Pour la cinquième fois de la soirée. Au même instant, Jordan réapparaît dans le salon, les bras chargés d'un plateau et de plaids duveteux. Dans la précipitation, je me redresse alors et souris, attendrie par toutes ces attentions de la part de mon ami. Il dépose le tout sur la petite table en verre, face à nous, puis me tend une bière et une couverture avant de s'installer à mes côtés, sans ajouter un mot.

Je caresse la douce étoffe du bout de mes doigts avant de la remonter légèrement sur mes jambes, puis porte le goulot à mes lèvres en murmurant :

— Merci, Jordan.

— Je t'en prie. Je n'allais quand même pas te laisser errer plus longtemps dans les rues alors que la nuit commençait à tomber.

Mes ongles caressent la bouteille en verre, tandis que Jordan s'empare de la télécommande pour chasser le présentateur de l'écran et le remplacer par un fond noir abyssal, somme toute plus rassurant que les nouvelles du jour.

Le silence s'installe peu à peu dans la pièce. Je me contente de prendre une nouvelle gorgée de liquide ambré, tout en promenant mes yeux sur l'espace qui m'entoure. Ce salon transpire la mode, le design et la sobriété., tout ce qui définit Jordan, ou plutôt, l'ensemble de la famille Miller. Sur ma droite, deux immenses fenêtres gardent en leur centre un vaisselier très épuré. Les lumières de Park Avenue illuminent les murs blancs du salon, décorés par plusieurs clichés de mode réalisés par les plus célèbres photographes de la haute-couture. Un large tapis gris est étalé au milieu de la pièce, autour duquel est disposé le canapé, ainsi que deux fauteuils de couleur taupe. Derrière moi, une immense bibliothèque moderne s'étend sur un pan entier de mur et garde en son sein les plus beaux albums sur les créations artistiques des couturiers à travers les âges.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant