Shane
L'astre de nuit, paré de toute son insolente inconstance, brille à la cime des immeubles de Brooklyn. Son candide éclat d'argent illumine le ciel et les murs blancs de mon appartement. Assis sur le rebord de ma fenêtre ouverte, je la contemple en prenant de longues bouffées sur ma cigarette.
Bercée par son éblouissante splendeur, la lune se rit bien de cette terre et de tout son orchestre valdinguant. Elle croît et décroit à sa guise, offrant au monde la vue de sa rondeur le temps d'une nuit, puis le privant de sa lueur dans les ténèbres dès le lendemain.
Mais par-dessus tout, la lune se rit bien du soleil. Lui, qui de son aura de feu, n'a de cesse de la faire resplendir au cœur de la nuit noire. L'effrontée, si pâle, si glaciale et pourtant si magnétique, se veut indocile et tend à disparaître sans laisser de traces. Dès lors, condamné à l'inertie éternelle, le seigneur du jour se voit réduit à éclairer les offenses de son insouciante belle de nuit qui, au cœur des ténèbres, danse parmi les astres luisants. Et ce, jusqu'à la fin des temps. Jusqu'à ce qu'il explose en un millier de fragments d'étoiles, dans l'espoir de se mêler au ballet de celles qui scintillent déjà dans le monde de sa belle. Même si pour cela, il risque de la réduire à néant, elle aussi...
Mon téléphone vibre à mes côtés et me sort instantanément de mes pensées. Distrait, je jette un rapide coup d'œil au message que je viens de recevoir.
J'ai fait un rêve l'autre soir, on passait Noël tous les deux dans un chalet à la montagne. Il y avait de la neige partout, sur le toit, les routes et les forêts de sapins. Tu crois que c'est prémonitoire ? Tu me manques. Je t'aime. Z
J'appuie lourdement la tête contre le mur et expulse lentement la fumée de mes poumons.
Tu me manques. Je t'aime. Z
Il y a quelques semaines à peine, ces paroles auraient éveillé en moi un feu ardent. J'aurai été capable de soulever des montagnes, de me battre jusqu'à la mort pour entendre ces mots-là dans la bouche de Zara. Mais aujourd'hui...
Je repose le téléphone et pousse un profond soupir de lassitude en enfouissant mon visage entre mes mains.
— Mais dans quelle merde je me suis encore foutu...
Une nouvelle vibration semble vouloir répondre à ma propre interrogation :
Demain, 9 h chez Jack. Si tu veux revoir les couleurs d'un coucher de soleil, je te conseille de ne pas arriver seul.
Je frissonne et déglutis lentement, comme pour tenter de ravaler au plus profond de moi mon angoisse grandissante. Comment amener Roxane chez Jack, demain à neuf heures, alors qu'elle doit sûrement être dans les bras de son Prince Charmant à l'heure actuelle ? À cette idée, mon cœur, déjà malmené par le dernier message de Robin, se serre un peu plus dans ma poitrine. Je coince la cigarette entre mes lèvres et m'apprête à lui répondre quand soudain, quelqu'un se met à tambouriner de toutes ses forces contre la porte de mon appartement. Je reste un instant immobile, suspendu au clavier de mon téléphone. Peut-être une erreur ? Je n'attends personne ce soir et Zara serait entrée sans frapper. Je tape deux nouveaux mots sur l'écran quand le raffut reprend de plus belle, et cette fois, sans interruption. Perplexe, je tire une dernière bouffée sur le mégot, dont je me débarrasse ensuite par la fenêtre, avant de me diriger vers la source de ce vacarme assourdissant. Les coups s'accentuent ; à croire que la personne est véritablement décidée à démonter le battant à l'aide de ses poings.
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Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉE
RomanceRoxane vit dans un des plus beaux appartements de l'Upper East Side de New York, entourée d'un père aimant et d'une ribambelle de psychiatres qui tentent en vain d'apprivoiser les démons qui l'habitent. Shane fait partie d'un des gangs les plus dan...