Shane
— Où on va ? Shane ! Ça t'arrive de répondre quand on te parle ?
— Tu sais quel est ton plus gros défaut, Roxane Preston ?
— Non...
— Tu poses beaucoup, beaucoup trop de questions. Et tu marches pas assez vite.
— Excuse-moi de m'intéresser à ce qu'il se passe ! Ça fait des plombes qu'on marche, et je...
— Tais-toi et suis-moi.
Roxane pousse un long soupir d'agacement dans mon dos. Je me contente de sourire, amusé. Après encore quelques minutes rythmées par des soufflements obtus, nous arrivons enfin devant une immense bâtisse abandonnée, qui se dresse un peu plus au nord de Brooklyn. Les vitres brisées et les tags qui ornent ses murs de briques vieillies lui octroient une allure de maison fantôme qui laisse Roxane en retrait, sceptique. Je pousse la lourde porte rouillée et m'engouffre dans la pénombre de l'entrée avant de me retourner pour observer discrètement mon invitée. Elle reste immobile à l'extérieur, détaillant de ses grands yeux bleus les moindres parcelles de ce lieu. Son visage, éclairé par les rayons d'argent de la lune, est encore plus pâle que lorsque nous avons quitté le bar de Jack. De fines gouttes de sueur ornent son front et sa mâchoire tremble nerveusement. Son regard se pose sur l'ouverture et scrute la noirceur de l'endroit. Je sens l'hésitation poindre en elle. Elle fait un pas en arrière.
— Où est-ce que... Shane !
Je ressors dans la précipitation et lui attrape le bras, sans lui laisser le temps de réfléchir. Je l'entraîne délicatement à l'intérieur et elle me suit sans trop de conviction. Je la guide dans le noir jusqu'à une cage d'escalier en fer à moitié éclairée par la douce lueur de l'astre nocturne, qui peine à se frayer un chemin à travers les carreaux sales des lucarnes. Les murs portent les marques indélébiles du passage de couples d'amoureux, de toxicomanes ou de squatteurs en tout genre. Soudain, alors que je m'apprête à gravir les escaliers, Roxane se libère brusquement de mon emprise et s'adosse contre le mur. Son souffle s'accélère et ses yeux brillent d'inquiétude. Elle plaque une main contre son oreille, puis l'autre. Soucieux, je descends d'une marche :
— Rox, ça va ?
Seul le rythme anormalement rapide de sa respiration me donne réponse. Elle reste recroquevillée pendant quelques secondes, les mains vissées sur les côtés de son crâne. Je décide alors de m'approcher d'elle et attrape délicatement ses poignets que j'écarte lentement de sa tête. Elle lève sur moi des yeux embués de larmes, qui fuient désespérément les miens, puis balbutie :
— Oui, je... Ça va aller. Ne t'en fais pas.
Je relâche doucement mon emprise et m'éloigne de nouveau vers les escaliers, tandis qu'elle se redresse. Puis, elle fait mine de se dépoussiérer pour cacher le rouge de ses joues, que même la pénombre de l'endroit ne parvient pas à masquer. Chose faite, elle me demande, d'une voix tremblante :
— Où est-ce que tu m'emmènes ?
Je hoche la tête avant de lui lancer joyeusement :
— Tu sais, c'est moi qui devrais me boucher les oreilles pour ne plus avoir à supporter toutes tes questions. Allez, viens !
D'un mouvement du menton, je la presse de passer devant moi pour gravir les marches. Après un court instant d'hésitation, elle s'exécute.
— On n'a pas le droit d'être ici, j'ai raison ?
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Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉE
Roman d'amourRoxane vit dans un des plus beaux appartements de l'Upper East Side de New York, entourée d'un père aimant et d'une ribambelle de psychiatres qui tentent en vain d'apprivoiser les démons qui l'habitent. Shane fait partie d'un des gangs les plus dan...