Chapitre 6 - Partie II

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Roxane


À l'heure où le soleil veille une dernière fois sur l'horizon et où la brise fait doucement frémir les arbres du parc de Columbia, je relève la tête. Seule dans un coin de la Bibliothèque Butler, je n'ai pas réalisé à quel point les heures se sont vite écoulées. Le jour s'achève et la plupart des étudiants sont déjà en train de rejoindre le parvis de l'université, pour décider de leurs occupations nocturnes. Je récupère alors les livres sur les courants artistiques des siècles révolus, dispersés sur la table devant moi, puis quitte la bibliothèque pour rejoindre Avery Hall. Quelques élèves s'arrêtent et lèvent les yeux vers moi quand je passe près de leur table, avant de s'effondrer de rire, à moitié cachés derrière leurs ouvrages. Je les ignore et replace le col de ma veste en jean en ajustant mon sac à main sur mon épaule.

Ce qui est arrivé la semaine dernière à la soirée de Joanna devait rester un secret absolu. Alors naturellement, comme à chaque fois que quelque chose vient pimenter leur petite existence d'un ennui mortel, les trois quarts des étudiants de l'université sont au courant. De tout temps, les regards et les moqueries ont fait partie de ma vie. J'ai toujours été la fille au nom célèbre, asociale, bizarre... Complètement folle. Mais aujourd'hui, je n'y prête presque plus attention et, le plus souvent, tous ces regards et ces préjugés glissent sur moi comme l'eau de pluie. Je serre un peu plus fort mon ordinateur contre ma poitrine, sans ralentir l'allure vers la sortie de la bibliothèque, tête haute face aux yeux curieux qui scrutent l'égratignure sur ma joue.

— Rox ! Attends-moi !

Je me retourne sur Jordan qui court maladroitement derrière moi, escorté par des dizaines de regards furibonds que son cri étouffé n'a pas manqué d'éveiller. Des feuilles de papier s'échappent des livres qu'il tient sous le bras, mais il ne semble pas vraiment s'en rendre compte. Je souris lorsqu'il arrive à ma hauteur. Il est mal-rasé, débraillé, et de gros cernes encerclent ses orbites. Je pousse la porte de la bibliothèque et le soleil de la fin de journée me force à plisser les yeux. Jordan tente de reprendre son souffle avant de commencer :

— Enfin, je te trouve ! Ça fait des jours que je te cherche ! Tu vas bien ?

— Comme tu peux le voir, oui.

À peine ai-je fait un pas dehors que de nouveaux éclats de rire moqueurs résonnent autour de moi. Jordan observe un instant les étudiants aux alentours, sans ajouter un mot. Je mords ma lèvre inférieure, regrettant amèrement le ton acerbe que j'emploie trop souvent avec lui.

— Tu , il ne faut pas faire attention à ce que disent les autres...

— Je m'en contrefiche de ce que disent les autres.

Je rehausse mon ordinateur contre ma poitrine et inspire profondément. Tout doux Roxane. Jordan laisse échapper un petit rire nerveux avant de poursuivre :

— Tu sais, je me suis inquiété pour toi, l'autre soir. Je ne savais pas si tu étais bien rentrée chez toi, ou si tu allais bien, tout simplement... J'aurais aimé que tu me tiennes au courant.

Je souris, attendrie par un Jordan gêné et tourmenté.

— Ne t'inquiète pas pour moi. C'était rien. J'en ai vu d'autres et il en faut plus que ça pour me faire vraiment du mal. Promis. Tu n'as pas à te faire de soucis pour moi.

— Qu'est-ce que tu t'es fait à la joue ?

— Je suis tombée en rentrant, l'autre soir.

— C'est vrai ce mensonge ?

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant