Chapitre 3 - Partie II

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Roxane


— C'est moi ! Je suis rentrée !

D'un coup de pied, je repousse la lourde porte blindée de l'entrée avant de laisser vulgairement tomber mon sac à main dans le hall.

— Maggie ?

Je suis le bruit qui semble provenir de la cuisine et y retrouve Maggie, postée devant les fourneaux, en train de concocter un petit plat dont elle seule a le secret. Ses cheveux noirs, agrémentés de jolis filaments argentés, sont retenus dans un chignon légèrement décoiffé et son tablier marque difficilement la taille de sa silhouette un peu rondelette. Employée chez nous depuis maintenant dix ans, Maggie m'a toujours considérée comme sa propre fille. Au fil des années, elle a souvent fait de son mieux pour pallier les absences répétées de mon père. Sans jamais vouloir effacer ma mère, elle a plutôt bien réussi à me rendre un peu de son amour jusqu'à aujourd'hui. Elle est maintenant la seule confidente qu'il me reste. Je me glisse sur l'un des tabourets de la cuisine et la regarde travailler en silence. Lorsqu'elle se retourne et me découvre, elle sursaute, étouffant un petit cri.

— Mademoiselle Roxane ! Vous m'avez fait peur !

Elle se tient la poitrine, faisant mine de reprendre son souffle. Je ris doucement face à sa réaction avant de la rassurer.

— Du calme Maggie. Qui voudrais-tu que ce soit ? On vit dans un véritable coffre fort, personne d'autre à part papa ne peut entrer ici.

Je lui adresse un sourire sécurisant. Elle hoche la tête avant de sortir un plat de gratin du four et de le poser sur le plan de travail.

— Je suppose que c'est encore vous et moi en tête à tête ce soir... Votre père n'est toujours pas revenu.

Résignée, je hausse les épaules avant de lui répondre.

— Je sais, il me l'a dit ce matin.

Maggie me lance un regard compatissant et frotte affectueusement mon bras de sa main. Bien que ce geste n'éveille aucun réconfort en moi, je la gratifie d'un sourire amical. Je me relève et me dirige ensuite vers le frigo d'où j'extirpe une bouteille de bière. Je la décapsule avant d'en avaler une gorgée au goulot, sous les yeux hébétés de Maggie.

— Mademoiselle Roxane, enfin ! On ne boit pas de bière quand on est une jeune fille de votre rang et encore moins de cette façon !

J'ignore sa remarque et m'avance doucement vers la fenêtre de la cuisine. Les lumières de la ville dansent au-dehors et je reste pensive, bercée par le tintamarre des casseroles qui s'affairent dans mon dos.

— Comment s'est passée votre journée, Mademoiselle ?

Sa voix me paraît tout à coup bien lointaine. Je me retourne et constate que Maggie est maintenant en train de dresser la table dans la salle à manger voisine. Je l'interpelle :

— Maggie, ne te donne pas ce mal, je veux prendre mon dîner dans la cuisine.

Elle passe la tête par la porte et me regarde avec étonnement. Je la toise avec un air incrédule et elle finit par s'exécuter. J'absorbe une nouvelle gorgée de bière avant de répondre à sa première question.

— Et pour ma journée... Banale, comme d'habitude. Ah si, j'ai rencontré un garçon, il s'appelle Jordan.

Une Maggie tout sourire apparaît alors sur le pas de la porte, les mains posées sur les hanches.

— Et.. ? me demande-t-elle avec malice.

Je colle mon dos contre la fenêtre glacée et porte de nouveau le goulot à mes lèvres.

— Et rien, je suis invitée à l'anniversaire de son amie demain soir.

— Ma foi, c'est un bon début !

Maggie dresse le couvert sur le comptoir de la cuisine puis sort d'un tiroir une boîte emplie d'une myriade de petites pilules multicolores. Elle l'ouvre et en extirpe quelques unes savamment sélectionnées avant de les poser à côté d'un grand verre d'eau. Je fixe ces cachets sans vraiment les voir. Je repense à ma journée, au cours de ce matin, à ce professeur qui m'interpelle, à Jordan, aux œuvres de Goya... et au jeune homme au manteau noir. Je déplace de nouveau mon dos contre la fenêtre. Mon esprit se concentre sur cet inconnu. En trois ans à l'université, je ne l'ai jamais vu nulle part. Il ne doit pas y être inscrit. Peut-être était-il venu rejoindre des amis ? Pourtant à son allure, il ne semble pas être habitué à fréquenter les étudiants de Columbia.

— En tout cas, je suis très contente que vous ayez rencontré de nouvelles personnes, Mademoiselle Roxane. Et votre père sera sans doute aussi ravi que moi.

Je ne réponds pas, mes ongles caressent la bouteille de verre avec nonchalance. Maggie s'essuie les mains sur son tablier et contemple fièrement l'assiette qu'elle vient de terminer de dresser. Puis elle me lance, un sourire lumineux ancré sur son visage :

— À table !

J'étire mes lèvres tout en portant de nouveau mon attention sur elle et m'avance pour prendre place face au plat qu'elle a préparé. Du bout des doigts, je pousse les pilules sur le côté de mon assiette, l'air absent. Maggie ne met pas beaucoup de temps à remarquer mon humeur et me demande alors, amusée :

— Vous rêvassez, Roxane. C'est ce fameux Jordan qui vous met dans un état pareil ?

J'empoigne lentement les cachets que je place dans ma bouche avant d'ingurgiter le contenu de mon verre, puis réponds à Maggie, d'une voix à peine audible :

— Non. Pas vraiment.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant