Shane
J'ai toujours aimé le tumulte assourdissant de cette ville. Le vrombissement des moteurs des voitures qui détalent aux feux verts, le perpétuel concert de coups de klaxon et les hurlements des sirènes de police. Même les haussements de ton des habitants de cette ancienne usine de jouets, réaménagée en appartements de fortune, font maintenant partie de mon quotidien. Tout ce fabuleux tintamarre me permet d'oublier ma solitude et mon ennui. Et c'est sans doute pour cette raison que je l'aime autant.
Allongé sur mon lit, je fais inlassablement tourner mon médaillon porte-photo entre mes doigts. Une vilaine fissure au plafond s'étend du centre de la pièce jusqu'à la fenêtre. Une chose est sûre, cet appartement miteux ne paie pas de mine, mais je m'y suis toujours senti chez moi. Je vis au beau milieu de voyageurs du monde entier, qui ont également élu domicile ici. Certain pour se joindre à la vie de bohème et côtoyer les utopistes de ce monde. Eux qui dépeignent régulièrement sur ces murs colorés, leurs rêves d'un avenir meilleur. D'autres sont arrivés à New York avec des ambitions de carrière plein la tête et du vent plein les poches. Embarqués dans le tourbillon du marché immobilier et de ses millions de dollars au mètre carré, ils ont échoué ici. Dans un deux-pièces minable, sans chauffage et au beau milieu de ce qui leur semble être des parias de la société, dont ils font habituellement fi. Malgré toutes ces apparences, ces deux univers parfaitement opposés fusionnent à la perfection entre ces murs. Comme si finalement, seule la précarité soudaine savait ouvrir les yeux des hommes sur leur condition d'être humain à part entière, qu'ils soient emballés dans un jogging de chez Walmart ou dans un costard de chez Gucci.
Le vent s'engouffre par ma fenêtre ouverte et me tire alors de ma rêverie. Quelques feuilles détachées de mes livres, éparpillés sur la table basse, s'envolent, aspirées par un courant d'air ; la porte de mon appartement vient de s'ouvrir, puis de se refermer avec violence. Je ne détourne pas mon regard de la fissure, tandis que des bruits de talons aiguilles résonnent à présent sur le sol nu. Oh, non.
— Quoi ?
— C'est qui cette fille ?
— Personne. Une mission pour Robin.
— Quelle mission ?
— Zara, c'est bon... J'ai pas la tête à ça.
Je referme mon médaillon et me frotte le visage des mains, espérant secrètement que Zara quitte la pièce. Je donnerai tout pour éviter une énième scène de jalousie déplacée. Mais bien entendu, rien n'y fait. Debout, face à moi, les poings sur les hanches, elle me dévisage toujours, passablement hors d'elle.
— Tu te fous de moi ?
Je rigole nerveusement.
— Et quel intérêt j'aurais ?
— Qu'est-ce que Robin t'a demandé de faire avec cette fille, Shane ?
Elle vient de crier cette phrase et du même coup, de m'échauffer les nerfs. Je glisse mon pendentif dans la poche de mon jean, avant de me redresser sur mon lit pour lui faire face.
— Il m'a demandé de gagner sa confiance. C'est bon ? T'es calmée ?
Je me lève pour ramasser les quelques feuilles encore éparses sur le sol, elle me suit à quelques centimètres d'écart.
— Et comment tu comptes t'y prendre ?
— J'en sais rien.
— Qu'est-ce que vous avez fait l'autre soir, quand je suis partie ?
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Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉE
RomansaRoxane vit dans un des plus beaux appartements de l'Upper East Side de New York, entourée d'un père aimant et d'une ribambelle de psychiatres qui tentent en vain d'apprivoiser les démons qui l'habitent. Shane fait partie d'un des gangs les plus dan...