Chapitre 21 - Partie II

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Shane


Le ciel est clair, ce soir. Les étoiles scintillent timidement, voilées par les puissantes lumières de Manhattan. Je tire sur ma cigarette puis expire une épaisse fumée grisâtre qui s'envole aussitôt pour rejoindre le néant. Jusqu'à cette nuit, je n'avais jamais vraiment réalisé à quel point cette infinité ne faisait de nous rien de plus qu'un vulgaire amas de poussière, perdu dans le brouillard d'une réalité désenchantée et à l'affût de réussites tout aussi superficielles. De toutes petites particules, incapables de comprendre à quel point il est rare est précieux d'exister dans cette sublime immensité et prêtes à risquer cette chance unique pour répondre aux diktats impitoyables d'un idéal imaginaire.

Fondu dans la masse de touristes et de noctambules amassés sur Madison Avenue, j'appuie mon crâne contre le mur glacé d'un building. A contrario de tous ces passants pleins de vie et d'entrain, le froid, accentué par l'angoisse grandissante en moi depuis plusieurs minutes, ne semble pas vouloir m'épargner. Je hausse les épaules et m'emmitoufle un peu plus dans mon manteau en claquant des dents quand soudain, mon téléphone vibre deux fois dans ma poche ; il est temps. Je prends alors une dernière bouffée sur mon mégot avant de m'en débarrasser dans le caniveau puis de me diriger rapidement vers le garage de l'immeuble de Roxane, l'estomac noué.

Arrivé à bonne hauteur, je m'appuie nonchalamment contre l'angle du building voisin et observe attentivement la scène qui se déroule sous mes yeux : la porte du sous-sol s'ouvre avec lenteur avant de laisser s'échapper le voiturier, au volant d'une magnifique Bentley noire qu'il s'apprête à avancer vers l'entrée de l'immeuble. Tous les regards sont braqués sur l'engin d'acier. L'occasion est trop belle.

Je me faufile derrière le véhicule et pénètre dans le sous-sol, tête basse, échappant du même coup à l'attention des passants et du roulier. Le large portail électrique se referme presque aussitôt à ma suite, me condamnant ainsi à ne plus pouvoir faire marche arrière. J'inspecte brièvement les deux caméras de surveillance qui scrutent avidement les plus belles voitures du monde et m'assure de rester toujours dos à elles, masquant ainsi mon visage à leur œil avisé. Mon cœur résonne bruyamment dans ma poitrine au fur et à mesure que j'approche de la porte d'accès à l'immeuble, verrouillée par un boîtier à code.

J'expire lentement et replace mes cheveux en arrière avant d'enfiler nerveusement mes gants en cuir, puis laisse ensuite courir mes doigts tremblants sur les six chiffres que Roxane m'a confiés un peu plus tôt dans la soirée. Le signal sonore retentit et une petite lueur verte s'illumine au moment ou j'appuie sur le dernier bouton, réveillant en moi un désagréable mélange de soulagement et de peur qui me déclenche une série de sueurs froides. J'actionne alors la poignée et m'engouffre prestement dans le couloir blanc avant de refermer aussitôt le battant derrière moi.

J'avance à pas feutré, laissant ma main effleurer le mur, jusqu'à me trouver face à la porte donnant accès à l'escalier de secours. Sans un bruit, mais le cœur battant, je m'empresse alors de gravir les marches interminables du gratte-ciel de Roxane. Chaque pas que je fais, chaque palier que j'atteins me rapprochent un peu plus d'elle et de l'issue de cette vie que je déteste tant. Dans quelques heures, tout sera fini et je serai libre. Nous serons enfin libres. Les étages défilent sous mes yeux, j'accélère le rythme, comme porté par un élan d'espoir nouveau, assombri par l'obscur dessein qu'il incombe.

Soudain, aux abords du quarante-et-unième étage, un éclat de voix de Zara ralentit ma course et m'extirpe de mes pensées vagabondes.

— Robin, non. Arrête, je... !

Le cri étouffé qui accompagne sa chute au sol, fait rater un battement à mon cœur. Je me fige et plaque alors mon dos contre le mur, me rendant invisible à la petite troupe stationnée sur le palier de l'étage du dessus. La peur et l'angoisse qui m'avaient abandonné au cours de mon ascension viennent tout à coup remplacer les dernières traces d'insouciance dans mon esprit. Avec une grande discrétion, je m'avance vers la rampe d'escalier et tends l'oreille pour tenter de déceler ce qu'il se passe à quelques mètres de moi. Au même instant, le sifflement du souffle de terreur de Roxane qui résonne bruyamment dans la cage d'escalier parvient à mes oreilles et me glace le sang. Je déglutis nerveusement et me recule contre le mur en fermant les yeux. Démuni, je laisse s'évanouir dans les abysses de la tristesse le vibrant espoir qui m'animait il y a encore quelques minutes. À présent, chaque son en provenance de l'étage supérieur me hante et m'assaille les tripes. Je prie pour que Roxane parvienne à retrouver son calme. Je prie pour que tout se passe comme prévu, comme je l'ai tant escompté.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant