Chapitre 23 - Partie II

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Roxane


C'est l'heure.

La lumière blanchâtre du soleil, qui perce enfin les nuages noirs et s'immisce comme dernier témoin à l'intérieur du tribunal, me force à plisser les yeux. Le pansement de fortune qui a été appliqué sur ma blessure à l'arcade m'incommode. Tête basse et guidée par l'impulsion du policier dans mon dos, je pénètre timidement dans la salle d'audience. L'angoisse monte en moi par vague à chaque nouveau pas que je fais et une boule se forme dans ma gorge, m'empêchant de respirer normalement.

Au vu des circonstances sur le parvis de la Cour Suprême, le public a été réduit à son strict minimum. Les familles de victimes que l'on m'accuse d'avoir arrachées à la vie ne me quittent pas du regard. La haine qu'ils me portent n'a d'égal que leur douleur d'avoir perdu un être cher. Des curieux, avides de récits sordides, sont déjà installés et prêts à se délecter des dernières miettes de faits précédemment évoqués au cours de ces longs mois de procès. Et puis il y a ces visages qui appartiennent au passé. Ces traits qui ont un jour marqué ma vie, mais que ma mémoire bafouée est incapable de reconnaître. Cet homme aux cheveux grisonnants qui m'adresse un bref signe de la main accompagné d'un sourire contrit. Cet autre qui me fixe avec mépris et dédain. Ou encore cette petite femme ronde, dont les yeux bordés de larmes me couvent pourtant de beaucoup d'amour et de tendresse.

J'avance toujours, le souffle tremblant. Maître Patterson est maintenant installé à notre table, à côté du siège vide qui m'attend, et occupé à trier quelques papiers usés, étalés devant lui. Accoudé au bureau voisin, le procureur affiche un large sourire de satisfaction, persuadé d'avoir au minimum déjà remporté la bataille médiatique de ce procès. La peine qui sera prononcée à mon égard ne sera pour lui qu'une énième victoire qu'il oubliera aussi vite que toutes les autres, sous les flashs désinhibant des adorateurs d'une fausse justice.

Je prends place aux côtés de mon avocat qui me jette un coup d'œil réconfortant tandis que le policier manipule mes menottes afin de m'enchainer à notre table. Au même instant, les douze Jurés terminent de s'installer dans le box qui leur est dédié. Leur regard et ceux du public, lourds de ressentiments, pèsent sur mes épaules et me forcent à garder la tête basse. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. La désagréable impression de n'être qu'une vulgaire bête de foire ne fait que grandir en moi à chaque seconde qui passe. Lentement, je me retourne vers l'assemblée et mes yeux accrochent ceux de la petite femme, assise au premier rang, juste derrière moi. Elle s'avance alors et me murmure, fébrile :

- Je suis de tout cœur avec vous, Mademoiselle Roxane. Tout va bien se passer.

Cette voix résonne dans mon esprit, dans mon passé. Je cherche, au fond ma mémoire, un nom à placer sur ce doux visage, en vain. Le terrible néant qui se présente alors à moi fait monter de nouvelles larmes amères à mes yeux. Je me retourne et plonge précipitamment mon regard sur le sol pour dissimuler mon désespoir cuisant.

Au bout de quelques minutes, le brouhaha commence à s'estomper. Du haut du pupitre qui surplombe légèrement la salle, la Juge semble happée par les documents juridiques placés sous ses yeux. Ses longs cheveux noirs maintenus en un chignon et clairsemés de filets argentés se marient parfaitement aux traits tirés de son visage, désabusé par de longues années de procédures judiciaires théâtrales et bien trop souvent pathétiques. Lorsqu'elle relève enfin la tête, son regard ne se donne même pas la peine de m'effleurer. De sa main crispée, elle déplace le petit marteau de bois disposé à ses côtés. Elle se racle ensuite la gorge puis commence, d'une voix claire et tranchante :

- Bien. Mesdames et Messieurs, la séance est ouverte. La cour appelle l'accusation à présenter ses conclusions.

Le silence règne à présent en maître dans la salle d'audience. À la demande de la Juge, le Procureur se redresse puis quitte son fauteuil en époussetant son costume avant de s'avancer vers les Jurés d'un pas confiant. Au même instant, Maître Patterson se penche à mon oreille et murmure :

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant