Chapitre 1

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 – Tante Anna ! TANTE ANNA !

Anna leva les yeux de la feuille qu'elle lisait – un rapport commercial sur les échanges avec Corona – et compta jusqu'à trois en regardant la porte du bureau. Comme prévu, à trois, le battant s'ouvrit en grand, et une petite fille déboula. Elle glissa sur une plaque de givre, faillit tomber, retrouva son équilibre, reprit sa course, et ne s'arrêta que lorsqu'elle fut sur les genoux de sa tante.

– Oui, Evvie ? soupira la princesse.

Elle observa sa nièce. Evvie était petite, fine, et donnait l'impression qu'un coup de vent soudain pourrait l'emporter. Elle avait un regard bleu glacier, hérité de sa mère, et des cheveux noirs qui lui arrivaient jusqu'à mi-dos. Les cheveux de son père. Anna serra les dents. La suite ne fit que l'agacer davantage.

– Maman pleure encore.

Anna soupira profondément, et reposa le rapport sur la table. Le parchemin s'enroula sur lui-même dans un chuintement de papier froissé.

– Eirik est avec elle, ajouta la fillette après un temps.

La rousse se leva, et suivit sa nièce, qui l'entraînait vers l'aile ouest. Ensemble, elles traversèrent la moitié du palais, puisque le bureau était situé dans le coin nord-est. Les bruits de leurs pas étaient étouffés par les épais tapis posés sur le sol depuis le début de l'hiver. Les portraits de leurs ancêtres semblaient les fixer d'un air sévère, jauger leur progression. Anna avait presque l'impression qu'ils lui disaient de se dépêcher. Et, dans un sens, ils n'auraient pas eu tort de le faire.

Elles s'arrêtèrent devant une porte fermée, et la rousse toqua. Quelques secondes plus tard, une petite tête blonde aux yeux bleu-vert apparut dans l'embrasure. Anna la contempla un moment, essayant d'évaluer le degré de difficulté qu'allait présenter l'opération. Le petit garçon la fixait avec un sourire triste, qui en disait long sur la situation.

– Eirik, décida-t-elle finalement, emmène ta sœur et allez jouer dehors.

Les deux enfants faillirent protester, mais se ravisèrent, et détalèrent. Le cœur serré, la princesse d'Arendelle ouvrit la porte, entra, et la referma derrière elle en songeant qu'elle aurait dû prendre un manteau.

§.§.§.§.§.§

Depuis l'anniversaire gâché, presque onze ans avaient passé. Anna avait assisté, impuissante, à la longue rechute de sa sœur. Le soir même, Elsa était rentrée au château en courant, les larmes aux yeux. Seule. Elle s'était claquemurée dans sa chambre, avait fermé les volets, soufflé les bougies, et avait verrouillé la porte à double-tour. Elle n'en était ressortie que trois jours plus tard, l'air hagard, pâle et amaigrie. De fines lignes grises striaient ses joues, et ses mains tremblaient.

Elle avait d'abord refusé d'avaler quelque chose. À force de persuasion, d'interminables monologues et de menaces, Anna avait réussi à la convaincre de manger et de boire. Elle n'avait pas posé de questions, mais n'avait pas cherché à effacer les faits non-plus. Quelque chose s'était passé, et quelque chose s'était rompu lorsqu'Elsa était partie dans la forêt avec Loki. La reine était revenue brisée, anéantie.

Le second choc avait été lorsqu'elle avait réalisé qu'elle était enceinte. « Comme si je n'avais pas déjà assez souffert » avait-elle dit d'un ton rogue lorsque la nouvelle avait été officiellement annoncée. Anna avait longtemps craint qu'elle tente d'avorter, voire de se suicider. Elle-même en avait perdu le sommeil, et elles avaient continué à régner ensemble, comme deux fantômes, sur un royaume stable. Seule leur incroyable cohésion avait permis au pays de ne pas sombrer. Mécaniquement, fidèlement secondées par leurs ministres, elles avaient pris toutes décisions qui s'imposaient, en toutes périodes de l'année. Il n'y avait que l'envie de vivre qui avait disparu.

Les Ténèbres dans nos Cœurs / Partie 2 : Beyond all known realmsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant