Chapitre 3

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Après avoir galopé pendant plus d'une heure en n'accordant que de courtes pauses à leurs montures, Elsa et Anna s'arrêtèrent enfin dans une clairière. Autour d'elles, il n'y avait qu'une forêt de pins balayée par un froid vent venu des fjords. Les branches des arbres s'agitaient et sifflaient, et leurs aiguilles tombées virevoltaient autour des deux femmes comme une nuée d'insectes. Elsa mit pied-à-terre, vite suivie par sa sœur, et attacha Skina à une branche basse. Le cheval donna un léger coup de sabot au sol, dégageant ainsi une touffe d'herbe couverte de neige. Sans plus se préoccuper de sa maîtresse, il commença à brouter tranquillement.

Elsa s'enfonça plus loin dans la forêt, semblant visiblement chercher quelque chose. Anna ne posa pas de questions, et se glissa à sa suite. Elles parcoururent ainsi une centaine de mètres, l'une derrière l'autre, avant de finalement atteindre une haute falaise. Le vent y soufflait encore plus fort, et, plus d'une fois, Anna faillit se faire entraîner vers le bord. Elsa, de l'autre côté, l'air parfaitement à l'aise, s'assit sur la poudreuse fraîche. Anna étendit sa cape à côté d'elle, de façon à se protéger du froid, et se posa à son tour, les yeux dans le vide. Elle fixait la mer qui s'étendait au loin, consciente que ce lieu, d'une façon ou d'une autre, avait été choisi pour une raison précise. Elsa était redevenue celle qui pesait chaque geste, chaque parole, avant d'agir.

Elle commença à raconter son histoire en partant du jour du mariage de Kristoff et Anna. Au début, sa voix était chevrotante, et elle prenait son temps pour trouver les mots justes. Mais peu à peu, elle ouvrit les vannes et se laissa aller. Elle raconta tout, faisant de fréquents retours en arrière pour expliquer tel ou tel évènement, demandant parfois à Anna si elle se rappelait d'un moment en particulier. Elle s'attarda sur ses émotions, sans toutefois se laisser gagner par ces dernières, gardant toujours une barrière formelle érigée entre ce qu'elle racontait et ce qu'elle vivait. De temps à autre, elle s'arrêtait, le regard perdu dans le vague, l'air de parler avec elle-même, puis reprenait en ajoutant parfois une précision qu'elle avait négligée. Anna comprit après un certain temps qu'elle parlait avec son armure.

Elsa n'omit pas un détail. Elle prit le temps nécessaire pour dire tout ce qu'il fallait, parfois même ce qui n'était pas important. Souvent, Anna faillit l'interrompre, faillit lui demander de réexpliquer quelque chose. Mais elle se contint à chaque fois, consciente que si elle rompait ce moment magique, Elsa se refermerait à nouveau, peut-être définitivement. Aussi, elle se mordit la langue.

Lorsque le récit fut achevé, Anna réalisa que, tout autour d'elles, le vent avait cessé de souffler. Toute la nature semblait s'être tue pour écouter ce que la reine d'Arendelle avait à dire. Elsa de son côté paraissait vide. Elle avait laissé le flot couler pour la première fois depuis onze ans, et il ne restait plus que le grand trou que l'eau remplissait jusqu'alors. Cette impression de vide, de plaie ouverte au cœur de sa poitrine, lui faisait serrer les dents, mais elle se contenait. Elle regarda Anna, sourit en voyant sa surprise, et agita la main. La paroi invisible qui les séparait du reste du monde se désagrégea, et le vent recommença à hurler autour d'elles. Une nuée d'aiguilles de pin envahit l'espace, leurs cheveux furent soulevés.

– Et maintenant ? demanda la rousse avec douceur.

Elle n'avait pas envie d'insister sur ce qui avait déjà été dit, considérant que ça avait été suffisant. Sa sœur eut un sourire attristé, teinté d'une pointe de regret.

– Il n'y a plus rien à faire, maintenant. Je ne peux pas changer ce qui est arrivé. Mais je peux reprendre.

Anna hocha la tête. Ce n'était pas un renouveau. Ce n'était pas une renaissance, ou un départ à zéro. Elsa ne faisait que se reconstruire, rassembler les monceaux éparpillés pour leur redonner forme. La construction ne serait jamais aussi stable que la première fois, mais elle allait tenir. D'ailleurs, le processus avait déjà commencé. Alors, Anna s'allongea à même le sol, et fixa le ciel comme pour lui demander ce qu'elle devait faire.

Les Ténèbres dans nos Cœurs / Partie 2 : Beyond all known realmsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant