Chapitre 6

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Eirik tendit la main à sa sœur alors qu'ils se postaient devant les grandes portes de la salle de bal. Tante Anna avait probablement tout fait pour que la pièce paraisse luxueuse, aussi, elle voulait une entrée en grande pompe. Elle aligna ainsi les quatre personnes selon ses désirs sans qu'aucun d'entre eux ne proteste. Elsa, seule, en tête, ses deux enfants derrière elle se tenant ensemble. Anna se rangea à côté de son mari, à la fin de la troupe. Eirik ne tarda pas à comprendre : elle mettait sa mère en avant, seule, mais appuyée par le reste de la famille. Très tactique.

– Je persiste à croire que c'est trop, râla la reine.

– Tais-toi. Tu y as consenti.

Elsa fit la grimace, mais ne protesta pas. Des trompettes retentirent, et les lourds battants s'ouvrirent silencieusement. Elsa respira profondément, lissa sa robe, et avança. Eirik et Evvie la suivirent en silence, tous deux focalisés sur leur apparence. C'était la clé de ces soirées mondaines : donner l'impression, jouer le jeu. Faire croire. Les deux enfants étaient devenus des maîtres dans ce domaine. Evvie avec son visage fermé, sa posture hautaine et son regard polaire, jouait celle qu'on ne pouvait atteindre. Durant les soirées, elle se fendait rarement d'un sourire, et encore, c'était uniquement pour Eirik. Lui en revanche jouait plus la carte de la sympathie. Il avait appris à séduire par ses sourires, ses éclats, son enthousiasme. Il attisait la sympathie des visiteurs.

Tous les quatre vinrent se placer autour d'Elsa lorsqu'elle monta sur l'estrade. Les jumeaux sur sa droite, et le couple sur sa gauche. Les invités s'inclinèrent dans un bel ensemble, puis se redressèrent, et la musique déferla. L'orchestre avait été placé près du mur latéral, à la droite de l'estrade, pour ne pas gêner éventuellement. Des paires commencèrent à se former, et le prince de Weselton s'approcha. Il salua d'abord Elsa, puis les autres membres de la famille royale, avant de se tourner vers la reine à nouveau.

– Majesté ? M'accorderez-vous cette danse ?

La blonde sourit, et prit la main tendue avec un sourire. Derrière cette façade, Eirik distingua une certaine tristesse, mais il se garda d'en faire la remarque. L'attitude de sa mère, qui devait paraître normale à première vue, lui était aussi facilement déchiffrable qu'un livre ouvert. Elle souffrait silencieusement, et sa jovialité apparente n'était qu'une façade. Fragile. En deux semaines, il avait appris à la connaître. Elle était comme Evvie : elle intériorisait tout, ne laissant que les émotions les moins dangereuses affleurer en surface. La reine descendit de son estrade, et se mêla à la foule de danseurs qui attendaient la fin de la première danse de la souveraine pour se lancer eux-mêmes. C'était une tradition qui remontait aux premiers bals : le maître du lieu dansait le premier, puis les autres se joignaient. Aussi, les jumeaux attendirent-ils patiemment, sans esquisser de geste déplacer, que la première valse s'achève. Le prince Silvester s'était pour l'occasion vêtu de vert mat brodé de fils d'or, en accord avec l'origine de son nom. Et, quoi qu'on puisse en dire, il dansait bien. Elsa fut entraînée dans un tourbillon de pas et de pirouettes qui ne s'acheva que lorsque la musique s'éteignit. Son chevalier servant – Eirik adorait cette expression – la relâcha, et elle s'éloigna du centre de la piste, ouvrant le bal aux autres invités.

– Puis-je ? demanda Eirik avec d'un ton narquois en se tournant vers sa sœur.

Un sourire moqueur s'esquissa sur ses lèvres, et elle acquiesça. Ils se dirigèrent vers le parquet, imités par Anna et Kristoff. Celui-ci avait, en dépit des années, gardé une aversion instinctive pour la piste de danse, au grand dam de son épouse, qui s'entêtait à l'y amener dès qu'elle pouvait. À sa décharge, il fallait dire qu'il était toujours un piètre danseur.

L'orchestre reprit sur une nouvelle valse, et Eirik posa une main sur la taille d'Evvie. Elle posa la sienne sur son épaule, et ils commencèrent à évoluer parmi les autres. Les pas de la valse étaient simples, la mesure à trois temps une ronde que les deux enfants avaient écouté dès leur enfance. Tante Anna y avait veillé. Ils avaient appris à valser peu après avoir appris à marcher. Et ensemble, ils fonctionnaient comme un duo parfait. Et, tout en tournoyant, il se pencha vers sa sœur, et lui murmura :

Les Ténèbres dans nos Cœurs / Partie 2 : Beyond all known realmsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant