Chapitre 2

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J'avais pour habitude de ne pas rêver. Enfin, je ne savais pas si on pouvait qualifier les images macabres qui me submergeaient la nuit de rêves. Je n'étais à cette époque qu'un gamin de 13 ans qui avait vu couler du sang là où j'avais le moins espéré en voir. Toujours ce même corps inerte sur le sol... Ce même liquide rouge... Cette même fuite.

Mais cette nuit, il y avait quelque chose de différent : je n'arrivais pas à quitter cet endroit. Peu importe combien Rule m'ordonnait de courir, je ne bougeais pas. Je me sentais bloqué... écrasé. Je savais que je me réveillerais d'une minute à l'autre mais ce qui se passait n'en était pas moins troublant. Puis j'entendis une voix, grave et pourtant si reposante... À qui elle est pouvait bien être ? Personne dans ce trou n'avait un timbre pareil ; la colère, la misère et les dures lois de la rue avaient eu raison des jeunes que nous étions.

J'ouvris soudainement les yeux, sentant un souffle trop près de mon visage. Pris de panique, je glissai ma main sous mon oreiller, prêt à poignarder celui qui m'attaquait. Mais je finis par émerger complètement avant qu'une catastrophe ne se produit pour m'apercevoir qu'il ne s'agissait que de Keith, et son incapacité à rester hors de ma chambre.

La première chose que je vis fut des yeux braqués sur ma bouche. Ses sourcils froncés, il ne semblait pas se préoccuper de m'avoir réveillé, il continuait à fixer mes lèvres, et je me sentis obligé de me racler la gorge. Il eut un léger sursaut puis releva la tête.

— Salut, souffla-t-il.

Je lui fis signe de s'éloigner, ce qu'il fit immédiatement.

— Je peux savoir ce que tu fais à fixer ma bouche ?
— Tu es percé ?

Il me fallut un temps avant d'émerger réellement et comprendre ce qu'il me demandait. Ce fut lorsque je claquai ma langue que je sentis mes venom chatouiller mon palais et mon snake eyes cogner contre mes dents. C'était un ressenti auquel j'étais habitué depuis quelques années ; je n'oubliais aucun de mes piercings, aucun de mes tatouages, aussi nombreux fussent-ils mais je n'y faisais plus vraiment attention non plus, j'y étais juste habitué. Une fois que la sensation des aiguilles s'estompait et que la cicatrisation s'achevait, il ne restait que l'habitude, une routine qui s'installait peu à peu à laquelle nous ne prêtions jamais attention.

— Oui.

Il me toisait avec un sourire en coin, comme s'il parvenait à voir mon corps nu à travers ma couette.

— Qu'à la langue ?
— Dégage de ma chambre, grognai-je, ma voix encore alourdi par le sommeil.

Il s'excusa, sans grande conviction – toujours ce maudit sourire sur les lèvres – mais s'exécuta, me laissant entendre que le petit-déjeuner était prêt.

Je soupirai, las, avant de me lever et de me jeter sous la douche en espérant faire partir toute la tension. Keith avait débarqué la veille mais il m'agaçait déjà. Je me demandais encore ce qui m'empêchait de lui en mettre une... peut-être devrais-je le faire tout de suite.

Je rejoignis le salon, les cheveux encore humides et habillé d'un sweat à capuche blanc, d'un jean et de baskets – des air force one noires que j'avais customisées pour passer le temps. Une paire parmi beaucoup d'autres de ce genre dans mon armoire.

J'entrai finalement dans le salon le pas lourd avec l'idée de lui foutre la tête dans un mur mais à peine avais-je mis mon pied dans la pièce qu'une délicieuse odeur de cookie me fouetta le visage. Bon s'il me prenait par les sentiments.

Je n'avais jamais pu résister à l'appel du sucre. Ça ne faisait pas très masculin selon certaines personnes, pas très adulte selon d'autres... Mais à seulement 22 ans, j'avais très vite compris que les idées qu'on se faisait des adultes avant n'était qu'un ramassis de conneries. Il n'existait rien à l'heure actuelle qui ne me mettait plus en joie que de manger quelque chose de sucré. Chose que grand nombre de personnes ne semblaient pas croire, comme s'il fallait une image précise pour apprécier telle ou telle chose.

Be Yourself (Chris)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant