Be Yourself (Chris)

Chapitre 28

— Chris ? Ce Chris ? réitéra-t-il d'une voix fluette.

Je hochai faiblement la tête. J'étais à deux doigts de lui sauter dans les bras ! Et au regard qu'il m'adressait, je le sentais prêt à en faire de même. Mais le contexte de nos retrouvailles nous empêcha d'esquisser le moindre geste.

Rule finit par incliner la tête vers le haut, les yeux clos, et déglutir. Je le devinais ravaler une larme traitresse qui aurait brisé cette image d'impassible qu'il avait toujours aimé se donner, et qu'il avait foiré à chaque instant parce que je ne connaissais pas plus sensible que lui.

Chaque mort auxquelles nous avions assistées l'avait toujours beaucoup affecté et fait pleurer à chaudes larmes. Chaque défaite l'avait enragé. Et je pouvais affirmer sans me tromper que tous nos bons souvenirs le marquaient encore aujourd'hui, et qu'il était incapable de rester de marbre lorsqu'il se les remémorait. Je l'imaginais même esquisser un grand sourire durant ses instants nostalgiques.

— Bon suis-moi, finit-il par lancer, appuyant son ordre d'un signe de la main.

J'obtempérai, et le suivis dans la bâtisse, slalomant entre des véhicules – surélevés ou encore au sol – caisses à outils, et autres matériels en tout genre. Arrivés devant ma voiture, Rule m'expliqua ce qui n'allait pas, comme Phil un peu plus tôt, et ce qu'il comptait en faire. Mon expression perdue ne lui échappa pas ; il secoua la tête, amusé, mais continua ses explications avec beaucoup de professionnalisme.

Au moment où il sembla conclure son charabia, il zieuta ma voiture, puis me lorgna de haut en bas, avant d'avoir un faible sourire en coin. Je savais pertinemment ce qu'il pensait dès lors. Sans être un fanatique d'automobile, j'avais jeté mon dévolu sur cette voiture de collection. Il m'avait suffi de la mentionner à Helen une seule et unique fois pour qu'elle veuille me l'offrir et se pointe avec à peine quelques jours plus tard. Et je n'avais pas eu besoin de faire une quelconque recherche pour savoir que ce petit bijou avait coûté un bras. Ce qui n'avait sans doute été qu'un grain de sable dans le compte enflé de Helen.

Alors que je regardais cet homme se ranger dans les rangs de la société, et s'éloigner du souvenir de l'adolescent qu'il était, Rule voyait la richesse m'envelopper. Je puais l'argent à des kilomètres à la ronde. Et quand bien même je me ne sentais pas vraiment à ma place, de l'extérieur, je continuais de passer pour ce gosse de riche, ce gars fortuné. Le regard appuyé de Rule me le fit bel et bien comprendre, comme un brusque retour à la réalité.

J'avais aujourd'hui sur mon compte en banque plus de fric que nous n'aurions jamais cru capable de posséder un jour, même en unissant tous les gains de la bande, et ce pendant des années durant.

Au moment où je m'attendais à ce qu'il m'énonce les véhicules de remplacement disponible, Rule me fixa sans rien dire.

— Si tu as quelque chose à me dire, ne te gêne pas, lui lançai-je.

Ma remarque eut le don de le couper dans ses pensées.

— Ça... Ça te dit que je t'emmène ?

Je l'observais, un sourcil haussé. S'il y avait bien quelque chose dont je me souvenais à son sujet était son franc parler. Je n'arrivais à me faire à l'idée que tant d'années avaient passé, qu'il n'était pas si étrange qu'il eut changé, sans doute autant que je lui paraissais différent de celui qu'il avait connu jadis. Mais voir Rule chercher ses mots, presque me fuir du regard, me semblait encore irréel.

J'acceptai sa proposition d'un faible hochement de tête ; ses épaules se détendirent instantanément. Dès lors, je devins impatient de me retrouver en tête à tête avec lui. Je n'avais qu'une hâte : que Rule me raconte tout ce que j'avais manqué jusqu'ici. Que c'était-il passé ? Pourquoi il m'avait été impossible de revoir l'un d'entre eux, malgré toutes mes recherches ?