Be Yourself (Chris)

Chapitre 15

CHRIS

Je n'aurais su dire combien de fois j'avais surpris Keith fixer le fin trait rouge qui entourait son auriculaire.

— Pourquoi tu m'as tatoué ça, Chris ? me demanda-t-il pour la énième fois.
— Pour voir comment tu supportes l'aiguille, répondis-je, comme à chaque fois depuis plusieurs jours.
— Pourquoi tu te l'es tatoué aussi alors ?
— Je ne me le suis pas tatoué, Amy me l'a fait.
— Tu vois très bien ce que je veux dire.

Je me contentai de hausser une épaule.

Je savais que Keith donnait une signification particulière à cette simple ligne d'encre, et peut-être y en avait-il une mais je n'aurais su la comprendre. Tout ce que je voyais était que ce petit anneau semblait le rassurer, en quelque sorte, le lier à moi davantage.

Il était comme un mariage sans les promesses. Un engagement sans le concret. Un aveu à peine avoué, tout juste chuchoté... mon aveu.

Il était le début d'une marque – la mienne - d'une empreinte qui s'étendrait peu à peu.

Keith était curieux quant aux raisons qui m'avaient poussé à inscrire ce motif sur ma main gauche. Main que j'avais jusqu'à maintenant gardé sans le moindre graphique. Main que j'avais expressément gardé vierge de toute encre pour ne pas brouiller ma perception lorsque je dessinais. Je ne le sus pas moi-même, je l'avais fait sur un coup de tête dans un instant de folie et d'insouciance. Et, aujourd'hui, comme pour mon petit ange, j'en venais à lui donner une signification spéciale.

• • •

Je raccrochai un appel de Helen, comme souvent depuis qu'elle avait été convoquée à l'école. Parfois pour savoir comment je me (com)portais, fréquemment pour me dire de prendre mes distances avec Keith et sa famille. Mais je m'en moquais, de sa famille ou de n'importe lequel ses proches : seul mon petit ange qui m'intéressait, et je n'étais pas prêt à y renoncer.

Je passai la porte et trouvai Keith assis sur le canapé, entouré de ses feuilles de cours et de photos imprimées – un bordel sans nom dans lequel je ne sus où me frayer un chemin.

— Keith, c'est qu-
— Je rangerai plus tard, m'interrompit-il sans même me regarder.

Appuyé derrière le comptoir, une petite bouteille d'eau entre les doigts, j'observais mon petit ange se perdre dans ses photos avec une concentration sans faille, sans pour autant se défaire de ce petit sourire curieux qui étirait un coin de sa bouche.

— Qu'est-ce que tu fixes comme ça ?
— Des photos de toi, avoua-t-il sans chercher à s'en cacher.
— Pour changer...
— Tu es un très bon sujet à photographier, se défendit-il.
— Un sujet ?
— Un modèle, si tu préfères.

Je roulai des yeux.

— On y va pour quoi ?
— Hm ?
— Ton espèce de fête, c'est quoi ?
— L'anniversaire de mon père.

...

— Ton père ?
— Oui, mon père, soupira-t-il.
— Son anniversaire... de mort ?

Il secoua la tête.

— Mais il est mort ! ris-je.

Keith leva enfin ses yeux et me lança un regard entre l'amusement et la désapprobation.

— Quoi ! Ne me regarde pas comme ça, mon ange, je n'y peux rien si ta famille a un grain.
— Chris.
— Quoi "Chris" ? Vous célébrez l'anniversaire d'un putain de cadavre, Keith !

Il avait beau ne pas aimer ma façon de parler, je distinguai tout de même un sourire crispé sur ses lèvres – la répression difficile d'un rire qui ne demandait qu'à sortir.