Be Yourself (Chris)

Chapitre 32

Je n'avais plus de nouvelles de Rule depuis plusieurs semaines. Il ne répondait que brièvement à mes messages déjà peu fréquents, et mes appels encore moins. Si je ne le voyais sur le pas de la porte du salon de tatouage, j'aurais presque envisagé qu'il était en train de me fuir.

— Rule ? Qu'est-ce que tu fiches ici ? pouffai-je, en me levant brusquement du canapé en cuir.
— Tu m'avais dit que je devrais venir te voir si jamais je voulais me tatouer alors... marmonna-t-il, tanguant d'un pied à l'autre, les mains dans les poches.

Cet homme auparavant plein d'assurance me regardait aujourd'hui avec un tel embarras que j'en vins à me demander ce qu'il avait pu se passer depuis la dernière fois.

— Ça me fait bizarre de te voir aussi concentré sur quelque chose, finit par avouer. Plus je t'observe, et moins j'ai l'impression de te connaitre.
— Près de dix ans sont passés, Rule. Je n'allais pas rester le même gosse, ris-je.
— Et tu souris beaucoup plus aussi... Ça me fait presque flipper, railla-t-il.

Je secouai la tête, levant les yeux au plafond.

— Disons que j'ai appris comment faire, me contentai-je de lui expliquer.

Je n'étais pas surpris que Rule fût déconcerté par le nombre d'expressions diverses que mon visage avait la capacité de reproduire maintenant. Lorsqu'on s'était connu, ce fut à peine si je fronçais les sourcils. Encore aujourd'hui, je me demandais comment il avait fait pour me comprendre alors que je m'exprimais si peu. Puis je me souvins de tous ces moments qu'il avait passé à me harceler de questions, qu'il insistait pour connaître la moindre de mes pensées. Des pensées que je n'étais pas sûr de saisir moi-même.

Il s'était appliqué à être sur mon dos à chaque occasion, jusqu'à déceler de lui-même de « faibles micro-expressions » – du moins ce qu'il prétendait toujours voir – qui l'aidait à deviner les instants où j'avais besoin d'être seul, ceux où je me sentais bien, ceux où il devait me calmer, me raisonner, ou encore ceux où j'avais une baisse d'énergie.

Je n'avais jamais eu à faire semblant à ses côtés. Vivre avec lui m'avait longtemps fait croire que j'étais parfaitement normal. Rule représentait cette bulle qui m'avait gardé éloigné de la réalité, qui m'avait bercé d'illusions. Le problème ne venait enfin pas de moi, et des gens avait été prêts à me prendre comme j'étais. Ma vie avec eux avait été une véritable bouffée d'air frais.

Mais après avoir passé des années à jouer à ce Chris accessible, je finissais par agir de la sorte comme un automate programmé. Et dans ce salon où tous les regards convergeaient vers nous, je n'eus d'autre choix que de plaquer un grand sourire commercial sur mon visage.

— Tu es un proche de Chris ? l'interrogea Amy qui n'avait pas perdu une miette de notre échange, assise sur le canapé à l'entrée.
— C'est mon frère, l'interrompis-je.

Je perçus les yeux de Rule s'écarquiller brièvement avant de rapidement être remplacer par un regard empli de douceur et de fierté.

— J'ignorais que tu avais un frère, grimaça-t-elle.

Je ne pus m'empêcher de la dévisager suite à cette remarque. Amy et moi avions beau nous connaître depuis quelques années maintenant, nous n'avions jamais été assez proches au point qu'elle ne sache quoi que ce fut à mon sujet. Même si Rule avait été mon frère biologique, elle n'en aurait rien su. Je n'étais même pas sûr qu'elle sache que j'avais été adopté.

— Et tu t'appelles ? enchaina-t-elle, tournant son attention vers Rule.

Je saisis très vite que notre lien n'était pas ce qui l'intéressait réellement. Je la voyais se liquéfier à ses pieds à mesure qu'elle l'observait. Et je ne sus si son intérêt avait été remarqué par le premier concerné mais mon amusement, lui, ne passa inaperçu.