Chapitre 18

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Si je trouvais le couloir silencieux, je me rendis très vite compte que ce n'était rien comparé à l'absence de son dans cette chambre. Ici, il n'y avait les pas du corps hospitalier, des rares patients encore mobiles, ou de ceux qui leur rendaient visite. Dans cette pièce, régnait un silence funèbre, entrecoupé par les bips de la machine accroché à Chris – seul indice de son cœur battant, vivant. Immobile et vulnérable, il était loin de son personnage imposant habituel.

Je m'avançai doucement, tiraillé entre l'envie de courir vers lui et celle de rebrousser chemin. J'hésitais. Car chaque centimètre qui nous rapprochait me crevait le cœur, me confrontant à une réalité que je me refusais d'accepter. Alors même qu'elle s'étendait devant moi... qu'elle envahissait mon champ de vision.

Je m'assis doucement sur la chaise près de son lit, pris sa main entre les miennes, et l'observai, aux bords de larmes déjà trop versées.

Je murmurais son nom dans l'espoir d'une réaction de sa part... mais Chris demeurait léthargique. Cette réalité n'avait rien de fictionnel ; ni ma proximité ni mon contact ni même ma voix ne réussirent à le réveiller, à le faire réagir. Il restait immobile malgré les minutes qui passaient et je ne pouvais que le fixer, la gorge et l'estomac noués.

Je n'aurais su dire combien de temps j'avais passé dans cette position, si ce n'était qu'il n'avait pas été assez long.

— Bonsoir.

Une infirmière venait tout juste d'entrer alors que je m'étais assoupi, la main de Chris pressée contre mes lèvres. Je me redressai doucement et la regardai s'approcher du lit.

— Bonsoir, répondis-je.

Elle m'offrit un sourire, pleine de compassion.

— Désolée mais les visites sont finies pour aujourd'hui.

Je me doutais que pour elle ses mots n'avaient rien d'offensant, elle ne fit que son travail, pourtant elle aurait difficilement pu me demander pire. Je n'étais pas encore prêt à lâcher cette main, encore moins à m'éloigner de la personne à qui elle appartenait.

— Je- J'aimerais dormir ici, annonçai-je d'une voix blanche.

Elle m'observa, perplexe.

— Êtes-vous de la famille ?
— ... Non, confessai-je.

Sa bouche se tordit dans une moue désolée, et je savais déjà ce qui allait suivre...

— Je m'excuse mais ça ne pourra être possible.
— Oui. Oui, bien sûr, je comprends...

Je reportai mes yeux sur le visage endormi de Chris, sans montrer une quelconque envie de partir.

— Monsieur ?
— Oui... Encore une minute, s'il vous plaît ?

Devant mon air suppliant, l'infirmière soupira, le plus discrètement qu'elle put, avant d'acquiescer.

— Je repasserai dans quelques minutes.

Elle sortit de la chambre et je repris ma position initiale, comme si son interruption n'avait été qu'un bref aparté, un moment illusoire.

— Chris ?

Toujours sans réponse.

Mes paumes étaient devenues moites à force de le tenir. Ma gorge se faisait douloureuse tant j'avais retenu mes larmes ; je n'osais presque plus avaler ma propre salive tant elle était serrée.

— Chris ? S'il te plaît...

...

— Putain, Chris !
— Keith ?

Une poigne réconfortante s'était posée sur mon épaule. Sur le côté, Brandon me regardait avec cette même expression peinée.

— Il faut qu'on y aille.
— Brandon, je-
— On reviendra demain, m'interrompit-il.

Derrière nous, l'infirmière patientait calmement. Je la soupçonnais d'avoir amené Brandon jusqu'à moi pour me pousser à sortir, et sans doute avait-elle eu raison de le faire.

Alors je soupirai, m'avouant vaincu. Je déposai un baiser sur le front de mon colocataire pendant une bonne minute puis laissai son ami me sortir d'ici. Dans le couloir, Garett attendait. Accaparé par la faible présence de Chris, je venais tout juste de remarquer sa mère partie le voir juste après moi, un court instant – le temps de lui dire 'au revoir' – avant de nous rejoindre à l'extérieur.

Une fois sur le parking, Garett et Brandon proposèrent à Helen de la raccompagner ; elle refusa poliment. Elle nous salua, tentant de nous rassurer une dernière fois, puis se dirigea vers sa voiture.

Comme à l'allée, je me fis conduire par Garett. Assis sur la banquette arrière, je n'écoutais que d'une oreille les mots de réconfort que m'adressait de temps à autre Brandon depuis le siège passager. Le trajet n'était pas bien long et il m'avait paru aussi rapide qu'interminable. Depuis que nous avions quitté l'hôpital, chaque seconde qui me séparait de ma prochaine visite avait pris son importance mais, perdu dans mes pensées, je fus tout de même surpris de nous voir garés devant l'immeuble.

— Tu es sûr que ça ira ?

Garett me posa la question pour la énième fois et ma réponse resta inchangée. Chacun d'eux avait passé la route à vérifier si je tenais le coup, me proposant mainte fois que je les rejoigne l'un ou l'autre ou les deux. Ils s'étaient même proposés pour passer la nuit à l'appartement, histoire que je n'y reste pas seul.

Et j'avais refusé à chaque fois.

Dans cette solitude, je cherchais à dédramatiser la situation. Chris était peut-être allongé dans un lit d'hôpital mais il n'était pas mourant, encore moins mort. Il me suffisait de l'attendre, comme je l'avais toujours fait jusqu'ici. L'attendre dans cet espace vide me donnait l'impression d'une routine, d'une habitude réconfortante. Je ne voulais pas me morfondre sur mes peurs, mes appréhensions. Alors que le regret me gagnait et m'incitait à rappeler la voiture qui s'éloignait, je me convaincus d'avoir fait le bon choix.

Je passai la porte d'entrée ; le salon était encore dans l'état où je l'avais laissé.

C'était tout juste ce matin que Chris m'avait assuré revenir le soir même. J'avais encore la sensation que la porte s'ouvrirait sur lui d'un moment à l'autre... Mais non.

J'avais beau resté debout, planté au milieu de la pièce, personne ne vint. Il n'y avait là pas l'ombre d'un bruit de pas, d'un soupir, bien moins encore de ce ronchon habituel face à mon bordel. Aucun signe de Chris. Ma respiration entrecoupée de sanglots mal étouffés furent les uniques sons à emplir cette absence, à la combler pauvrement.

Mais je continuais d'espérer, je restais à l'affût, quand bien même je savais que, ce soir, Chris ne rentrerait pas.

Be Yourself (Chris)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant