Be Yourself (Chris)

Chapitre 12

KEITH

Un petit garçon se tenait debout, dans un miroir. Il me fallut un temps pour comprendre qu'il ne s'agissait que de mon reflet. Je vivais et ressentais tout ce par quoi il passait lui-même.

Il y avait beaucoup de bruit cette nuit ; les invités riaient trop fort. Ils s'amusaient et je n'arrivais pas à dormir. Je sortis du lit pour regarder la photo de maman posée sur ma commode. Elle me manquait maman. Elle était jolie, même blessée, et gentille, au point de pardonner papa pour tout ce qu'il lui faisait. Je le détestais ; il était mon père et pourtant il était la personne que je haïssais par-dessus tout, encore aujourd'hui.

J'entendis des pas approcher et me dépêchai d'aller au lit pour m'y cacher.

— Je sais que tu es ici, Keith. Allons, tu ne viens pas féliciter ton cher père ?

Il paraissait heureux mais, comme toujours, je n'en fus pas sûr. La couette se retira soudainement ; il avait l'air vraiment content, peut-être qu'il ne me ferait pas de mal aujourd'hui. Mais dès l'instant où je sentis ses doigts glisser dans mes cheveux, mes espoirs partirent en fumée. Mes racines n'allaient pas tenir, je pouvais déjà imaginer le sang sur mon crâne, les mèches qu'il laisserait tomber sur le sol avant de tourner les talons. Alors je respirai, profondément. Je serrai les dents en attendant qu'il daigne me laisser, comme je l'avais toujours fait – ce n'était qu'un moment à passer, désagréable, certes, mais éphémère.

Nos visages n'étaient qu'à quelques millimètres de l'un et de l'autre. Son haleine âcre de rhum et de tabac me fit grimacer, loin du parfum apaisant de maman – une senteur douce et sucrée de vanille. Mon père me fixait de ses yeux injectés de sang, malgré cette grimace qu'il qualifierait de sourire. Une expression qui me donnait chaque fois des sueurs froides. Un visage auquel j'avais déjà été confronté quand l'alcool avait passé son gosier plus que de raison. Je pouvais d'ores et déjà être sûr que la soirée ne se finirait pas qu'avec quelques cheveux perdus. J'étais devenu le remplaçant de maman et je savais que je finirais bientôt dans le même état qu'elle – tout aussi coloré, tout aussi épuisé, tout aussi marqué...

Je me réveillai en sueur, paniqué, jusqu'à ce que je reprenne mes esprits et comprenne que j'étais toujours dans ma chambre, chez Chris. Mon cœur tambourinait. Je m'assis sur mon lit en quête de calme, de tranquillité. Mes joues étaient maculées de larmes ; elles coulaient en continu, encore et toujours, sans possibilité d'arrêt. Je ressentais encore très clairement la sensation de ses mains s'abattant sur moi, impitoyables, cruelles. Mon corps me lançait sans n'avoir reçu aucun coup.

J'étais acculé par mes souvenirs.

Après trente minutes à meurtrir ma lèvre et mes ongles à coups de dents, à fixer ma porte avec le sentiment – la peur – que mon père l'ouvrirait d'une seconde à l'autre, à chercher un sommeil qui ne reviendrait pas, je me levai et sortis de mon lit à la hâte ; je fuis mes angoisses accentuées par la nuit et me dirigeai vers le salon, prêt à retrouver un peu de calme, de solitude tranquille. J'avais moi-même pris l'habitude de me poser sous la grande fenêtre du salon pour y observer la ville et son agitation si particulière. Mais arrivé dans la fameuse pièce, ce fut une tout autre ambiance qui m'accueillit...

Je n'aurais pas été dérangé par l'éventuelle présence de Chris, mieux, j'en aurais été ravi ! Mais seul. Sans être accompagné de je ne savais quelle gonzelle... Et encore moins en train de forniquer au beau milieu du salon !

Il me fallut un temps pour accepter ce qu'il se passait juste sous mes yeux, et davantage pour m'en détourner. Je fus statufié d'admiration, paralysé par la jalousie. À mesure que je m'émerveillais devant Chris, qui ne pouvait pas être plus sexy – sexuel – qu'à cet instant, mon estomac se tordait à l'idée de ne pas être cette taille compressée entre ses doigts, de ne pas être la personne qu'il remplissait délicieusement... de ne pas être elle.