[Sydi] The Bluesman

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Il était assis dans un coin, dans l’ombre. Le juke-box à côté de lui ne jouait pas : il n’en avait pas besoin. Il n’était venu dans ce vieux café que pour voir et surtout écouter le ‘’jeune prodige du quartier’’ comme il était appelé. Ce n’était évidemment pas son nom de scène, loin de là… Ce jeune homme se faisait nommer Noir Goupil. On ne savait rien de lui, rien à part son nom et son talent.
Celui au coin de la pièce le dévorait des yeux. Lui, le bluesman penché sur sa guitare, ses boucles retombant sur son visage, le cachant un peu trop au goût de son admirateur. Ce dernier adorait voir les yeux verts-bleus brillants fixant le manche de l’instrument chéri, comme ceux d’un enfant en plein éveil, découvrant le monde. C’était le sien que l’admirateur découvrait. Un monde fait de notes traînantes, de voix envoûtantes et de textes forts, musique noire que les Noirs Américains ont apporté à la fin de la première guerre mondiale : le blues. C’était la musique qui réchauffait, qui faisait pleurer ou rire, qui transportait, qui faisait battre le cœur des quelques conquis. Oh, elle n’était pas bien connue en ce temps là ! Moins encore que le jazz. Elle rencontrait peu de succès et, même si l’américanisation de la France donnait un coup de pouce, c’était rare de trouver des concerts.
L’admirateur était heureux d’avoir trouvé la perle rare. Ce café… ce café où, la première fois qu’il est entré, la première fois qu’il l’a vu, son cœur a chaviré. Il était changé à jamais. Cette voix, puissante, entêtée, qui chantait haut et forme les quatre vérités du bas monde, qui crachait à la gueule des riches et louait le courage des pauvres, qui contait par mille fois la beauté du Mississipi et de Chicago que Noir Goupil connaissait pour s’y être déjà rendu.
Et l’admirateur rêvait… Il s’imaginait aux côtés de ce bel homme, si talentueux, à parcourir l’Amérique et l’Europe, à chanter pour les Noirs, à chanter pour les Blancs, à chanter pour quiconque acceptait de l’écouter, à entraîner un maigre public dans les profondeur du blues… Certes il n’était pas noir, certes il n’était pas originaire du berceau du blues, ni du reste des États-Unis, d’ailleurs… Mais le blues n’était pas une couleur de peau. Et le blues était encore moins un pays. Le blues était mode de vie, il se ressentait. Alors, Noir Goupil avait beau être français, Noir Goupil avait beau être blanc, Noir Goupil aimait sa musique qui ne connaît pas de frontière et Noir Goupil la transmettait.
L’admirateur observait, rêveur, le bluesman en pleine action sur scène. Il fallait le voir ! Assis sur un tabouret éventré dont le rembourrage se barrait, il ponctuait sa musique de coup de bassin qui lui conférait une sensualité à laquelle l’admirateur n’était pas insensible. Le bottle neck, autour de son annulaire gauche, glissait contre les cordes pour les faire gémir de plaisir. Sa main droite, elle, faisait ronronner la guitare qui se transformait en un doux son vibrant d’une véracité au de-là des mots. Il tapait toujours du pied, perfectionniste avec des temps. Alors l’admirateur l’imitait, connaissant par cœur ses titres à force de venir.
Chose étrange, l’admirateur n’osait jamais aller voir Noir Goupil, malgré sa disponibilité après chaque concert. Il maudissant alors sa jalousie maladive de le bloquer en regardant l’artiste, son idole, grâce à qui il avait connu le blues et avait lui-même commencé à en jouer, entouré par une dizaine de fan qu’il voyait peu à peu devenir ses amis. Et lui était là, et lui observait, et lui restait muet, restant un simple spectateur, l’ombre au fond de la salle, que l’absence de lumière empêcher de voir.
Ce que l’admirateur ne savait pas, c’est qu’il était observé. Il niait toujours dans sa tête, mais les faits étaient là : Noir Goupil le remarquait. Chaque soir de représentation, en entrant sur scène, il s’assurait qu’il était là et, il ne savait pourquoi, mais cette présence le rassurait. Elle était pourtant sans visage et sans nom, mais au fil du temps elle était familière et chaleureuse et éveillait dans le cœur du bluesman des choses qu’il ne connaissait pas. Ces choses qu’il ne connaissait pas ne lui déplaisait pourtant pas, elles lui faisaient écrire les vers d’un poème fougueux, d’une passion dévorante, presque d’une obsession qui faisait battre dans les veines de l’artiste un sang nouveau. Et lorsqu’il chantait avec un anglais noir américain parfait de sa voix si douce ‘’Rien d’neuf sous le soleil… Je continue mon bonhomme de ch’min... des paysages sans pareils… à côté je n’suis rien, et j’continue mon bonhomme de chemin… Rien d’neuf sans ma vie… pas d’amours éprises… mais c’n’est rien, je vous l’dis ! C’n’est rien car j’continue mon bonhomme de ch’min…’’ , ça le faisait doucement rire, et un sourire ironique étirait ses lèvres d’habitude pincées par la concentration. Bien sûr que si, il y avait du nouveau. Bien sur que si, il aimait. Et de quel amour ! Cet amour irrationnel qui, pourtant le satisfaisait autant qu’il le frustrait.
Un soir, Noir Goupil se lança. Il ignora ses fans, au bas de la scène, et s’avançait d’un pas décidé vers la table du fond, à côté du juke-box. Surpris et décontenancé, l’admirateur ne dit rien, tétanisé par sa timidité. Le bluesman s’assit devant lui et, sûr de lui, un large sourire au lèvre, entama la conversation :
« Salut… Tu sais, je te vois, à chaque fois, annonça-t-il d’une voix veloutée. Chaque fois que je grimpe sur scène, chaque fois que je suis avec mes fans… J’ai attendu que tu viennes me voir. Oh ! Longtemps ! Mais comme tu ne semblais pas décidé, j’ai pensé qu’il était temps de se rencontrer. »
Il tendit une main vers l’homme face à lui dont il n’apercevait de son visage que ses yeux bruns luisants.
« Je m’appelle Sylvain. »
L’autre le regarda un instant, surpris, et se décida finalement à serrer la main de Noir Goupil.
« D-Dylan, bredouilla-t-il, confus. »
Son idole éclata d’un rire point moqueur, loin de là.
« Timide, hein ? Je comprends mieux pourquoi tu n’es pas venu me voir plus tôt… »
Et ils parlèrent. De tout, de rien. De leur passé, de leur présent. Du blues, du rock et un peu du jazz. Quand Sylvain exprima son agacement face à la confusion faite par beaucoup entre le jazz et le blues, Dylan rit. Lorsque Dylan fit part à son nouvel ami de sa colère contre ceux, plus nombreux que de raison, qui se disaient bluesman sans jamais en effleurer l’idée, Sylvain acquiesça vivement, en ayant déjà rencontré des cents et des milles.
Plus leur conversation allait de son train, plus ils riaient et se prenaient d’amitié l’un pour l’autre. Seulement, les pintes défilaient, et leurs esprits s’embrumaient peu à peu, si bien qu’ils étaient seuls, dans leur bulle. Ils se comprenaient d’un hochement de tête, d’un regard, et écoutait d’une oreille vivement intéressée les histoires de leur interlocuteur. Le patron les regardait du coin de l’œil en souriant. Depuis le temps qu’il les voyait s’échanger des regards !
Le temps passait, et bientôt il fut trop tard. Trop tard pour que l’admirateur rentre chez lui, seul. Les rues n’étaient plus sûres à cette heure avancée de la nuit et pas une voiture passait. Alors, Noir Goupil demanda :
« Dis moi, Dylan… C’est bien ça, hein ? ‘’Dylan’’ ? »
Le susnommé hocha la tête.
« Hum, c’est bien ce qu’il me semblait, désolé… Bon, il est trop tard là, tu vas pas rentrer chez toi à cette heure ci, hein ? Tu pourrai passer la nuit chez moi… C’est juste au dessus ! Rien d’ambigu hein, t’en fais pas ! »
Le sourire étirant les lèvres du musicien criait le contraire mais Dylan ne sut résister à l’air ravageur de son idole. Il l’accompagna alors à l’étage où la porte d’un meublé au confort raisonnable s’ouvrit à lui pour lui dévoiler le monde du bluesman. Celui-ci entra en premier et invita son admirateur à faire de même. Arrivé au milieu de la pièce, il se tourna vers lui et resta bloqué à la vue du jeune homme un peu perdu, les bras ballants autour de ses hanches et ses cheveux bruns encadrant son si beau visage… Il le trouvait craquant, plus que de raison. Mais au diable la raison ! Devenir bluesman n’était pas plus raisonnable que de faire rentrer ce bel ange dans sa piaule d’artiste miséreux.
Noir Goupil se sentit con, tout à coup. Décontenancé, cerné. Peut être n’aurait-il pas dû le ramener dans son appartement qu’il louait, lui montrer l’envers du décor. Et s’il ne l’admirait plus ? Et s’il ne voulait plus écouter sa musique en voyant le bazar dans lequel le musicien vivait ? L’air ébahi de son admirateur face à sa chambre lui redonna confiance.
Et soudain, il n’y avait plus d’alcool. Son crâne s’éclaircissait de cette brume fugace que le fruit du démon, l’alcool du diable, lui avait laissé en s’écoulant dans son œsophage ! Il voyait Dylan, devant lui, et son moment d’absence dura… Il finit par s’approcher de lui, à pas pressé. Il se jetait, presque, contre lui. Refermant la porte d’un coup de pied, il plaqua son admirateur contre cette dernière. L’air étonné du jeune homme n’avait rien à envier à ses lèvres entrouvertes. Sylvain sentit la respiration qui s’en échappait se saccader et le torse sous lui se soulevait de manière irrégulière.
Le voilà, le bluesman, surplombant de toute sa hauteur son admirateur qui, tous les soirs, venaient silencieusement sans l’aborder. Et dieu qu’il aurait dû !, se disait-il… Il aurait dû lui parler plus tôt ! S’il avait su qu’ils se plairaient autant…
« Que Dieu me pardonne… »
Et Sylvain plaqua ses lèvres sur celles de son cadet. Très vite, ils se meuvent l’un contre l’autre. Tout s’enchaîna à une vitesse folle ! Les caresses ardentes à travers les vêtements, sur la peau nue, découvrant, testant une à une chaque partie du corps sans en omettre une seule. Les regards qui brûlaient l’épiderme n’importe où ils se posaient, observant les frémissements, les ondulations, les courbes et la beauté de l’autre. Les mains tremblantes d’excitation parcourant avec avidité chaque parcelle, même les plus intimes. Et les gémissement, étouffés par des baisers, alors que leur corps ne faisait qu’un et que leurs mouvements de bassin, à l’unisson, dévoilèrent pour eux la dévorante passion qu’ils éprouvaient pour l’autre.
Le lendemain, au réveil, le soleil filtrait déjà au travers de la persienne de la chambre du bluesman. Il était haut, rond, voilé par les nuages d’un coton pur, blanc immaculé, qui s’étiraient en de grosses grappes, s’effilochant même par moment. Il devait être plus de midi, conclut Sylvain en ouvrant les yeux. Il voulut bouger mais se rappela : la soirée, où il avait eu le courage d’aborder celui à qui il tenait tant sans jamais connaître son visage, seulement son corps éclairé par quelques bribes de lumières… la nuit, durant laquelle il l’avait amené jusque dans sa chambre et où il s’était vite retrouvé dénudé dans le lit… Toutes les images lui revinrent violemment en tête, imprimant sur sa rétine la magnificence de son adorateur… Oh ! Il ne pouvait plus l’appeler comme cela dorénavant ! Qu’était-il donc ?
Son bras remua, contre le ventre du musicien. Il se redressa, décollant ses paupières, puis retomba sec avec un gémissement de douleur. Le bas de son dos était courbaturé. Il avait mal, si mal… Puis il se rendit compte, se souvint. Tout. Il leva un regard apeuré vers le visage de Sylvain, lui demandant silencieusement ce qu’il allait se passer ensuite.
« Salut, fit Noir Goupil en ignorant les questions de l’autre. Bien dormi ?
-Hey, répondit docilement le jeune homme bien qu’agacé par l’ignorance du musicien. Étrangement, ouais, et toi ?
-Ouep’… hum… je… Dylan ? »
Voir le bluesman aussi désemparé, perdu, fit sourire ironiquement le susnommé.
« Oui ?
-On est quoi, maintenant… ? »
Et son cœur bondit. Qu’est ce qu’ils étaient ? De simples amis ? Ils venaient de faire l’amour. De simples amants ? Bon sang, répondre ça serait ignorer une partie de la réponse. Il l’aimait, d’un sentiment irraisonné.
« Des amants qui s’aiment un peu trop ? tenta-il alors. »
Sylvain sourit. Gagné.
Le bluesman et l’admirateur ne pouvait vivre l’un sans l’autre. Ils s’attachèrent tant qu’ils en éprouvèrent un amour fusionnel, passionnel. Et depuis leur rencontre, leur destin était tracé : ils sillonneraient ensemble les routes d’Amérique et d’Europe à affronter tous les dangers du blues, grand requin dans la mer bleue, devenant le duo le plus apprécié et reconnu sans que quiconque ne sache ce qu’il se passait dans les loges, une fois le show finie et le rideau baissé… Seul le patron du café de leur rencontre savait ce qu’il se tramait, détenteur muet du secret honteux, inavouable au risque de la mort et au péril de leur vie…
Le blues avait réuni en son sein deux hommes qui, un peu plus bizarres que les autres, tracèrent leur bonhomme de chemin jusqu’à atteindre le soleil de la gloire.

Hey !
Déjà, j'aimerai dire que je suis surpris.e du temps que j'ai mis pour l'écrire (deux soirées), plutôt court par rapport à ca que je fais d'habitude...
Ensuite, je suis assez fier.e de ce texte. Vraiment. Je l'aime beaucoup.
Et puis, mon inspiration n'est pas anodine. J'ai récemment lu un livre de Gérard Herzhaft "Un long blues en la mineur" qui est tout simplement génial. Depuis, je suis plongé.e dans ce monde de blues et de l'Amérique Noire, comme j'aime l'appeler. Amérique qui me fascine d'ailleurs... Bref, amateur de musique et particulièrement aux accents noirs américains, procurez vous "Un long blues en la mineur" et "Catfish blues" de Herzhaft, ce mec est un grand.
Voilà, ce texte est pour le blues, avec du sydi (encore, désolé) et j'espère sincèrement qu'il vous a plus.
Des bisous les amis ❤ Et longue vie à la musique !

Repose en paix, Chuck Berry...

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