Une fille aux cheveux bleus.

Chapitre 86.

Je gribouille toujours sur des petits bouts de papier qui traînent, repensant à la soirée de la veille. Je suis un peu perdue dans mes sentiments. Que dois-je retenir de tout ça ? Entre la déclaration de Pierre et la crise de jalousie d'Arthur, je ne sais pas vraiment où me situer.
J'ai échangé quelques textos anodins avec Pierre, à croire qu'il ne veut pas remettre tout de suite sur le tapis l'idée que je devienne sa petite amie. Il a raison d'agir comme ça, ça m'aurait énervé qu'il insiste.
J'ai pris soin de boire de l'eau toute la matinée pour faire passer ce mal de crâne de lendemain de fête alcoolisée, je me force à rester debout, parce que je sais que sans ça, je vais rester au lit toute la journée. Il faut que je me motive, je prépare mes habits de sport en prévision d'aller courir dans l'après-midi. J'en ai besoin, mais je ne suis pas sûre d'être réellement en état de le faire aujourd'hui.
Ma mère m'appelle pour mettre la table pour le repas du midi. Je descends donc, ravie d'avoir une tâche à accomplir. Mais étrangement, je la trouve apprêtée de la tête aux pieds, je sens son parfum de plus loin qu'il ne le faudrait. Une odeur sucrée et fleurie émane d'elle, ses paupières brillent grâce à un fard champagne irisé, j'observe sa chemise, rentrée dans sa jupe bleu marine, sublimée par un épais collier rose poudré. Elle prend la parole avant moi, et s'exclame avec un sourire gravé sur son visage:

«Tu peux mettre la table pour trois... j'ai quelqu'un à te présenter !»

Je vois qu'elle essaie de ne pas montrer toute l'excitation qui l'habite, mais c'est compliqué apparement, puisque je devine assez facilement qu'elle est plus que contente de revoir son amant, et de me le présenter. Je ne peux m'empêcher de lui sourire et d'aller exécuter sa demande. Avant de partir pour les tiroirs de la cuisine, je lis en elle de la surprise, peut-être s'attendait-elle à une mauvaise réaction de ma part ?
Je me force pour faire les choses correctement, je veux essayer de bien accueillir ce nouveau mec chez nous, comme ça, il ne pourra pas me reprocher d'être désagréable tout de suite, je compte attaquer seulement s'il vient à le faire. Ce ne sera que de l'auto-défense !
Le bruit de la sonnette me fait sursauter. Je jette un coup d'œil rapide à travers la maison, et voyant ma mère ajuster les derniers détails dans la cuisine, je me précipite à la porte, mon plus beau sourire -quelque peu forcé mais il n'en saura rien- aux lèvres, et le découvre en le saluant chaleureusement. Ma mère pourra me féliciter grandement de mes efforts d'accueil là ! L'homme me sourit et se présente en entrant dans la maison. Il se nomme Constant. Je n'arrive pas à savoir ce que ma mère peut trouver à ce mec. Il n'est pas plus grand que moi, les trais fins de son visage contrastent avec son nez imposant, mais comme me dit souvent ma mère, "Qu'est ce qu'un mec sans un nez ?" Il s'enfonce dans la pièce, avec une démarche peu assurée, qui me ferait penser à un enfant timide, chétif, voir presque malade. Son teint pâle, presque verdâtre, n'aide pas non plus, il fait ressortir ses cheveux ainsi que sa barbe de trois jours, d'un noir aussi intense que du charbon. Ses lèvres fines, presque absentes, viennent se poser sur celles de sa blonde, avec douceur et timidité. Mon examen terminé, je m'installe à table, où l'amant de ma mère est déjà installé.
Pendant tout le repas, une bonne ambiance est présente, on parle tous ensemble, enfin je laisse surtout les deux amoureux parler entre eux, même si Constant semble s'intéresser à moi, il me fait presque passer un interrogatoire, de temps en temps arrêté par ma mère qui recentre la discussion sur autre chose que moi. À chaque instant où je regarde ma mère, elle pose un regard amoureux et admirateur sur son nouveau mec, son sourire ne la quitte plus une seule seconde, elle me paraît nager dans le bonheur total. Je ne peux qu'être contente pour elle de la voir comme ça, elle le mérite. Et puis au moins elle me laissera faire ma vie tranquille.
Suite à ce repas, je les laisse tous les deux, et je ne ressens plus du tout le besoin d'aller courir. Mon corps semble apaisé, quelque chose de serein se glisse en moi. Je continue donc mes dessins sur mon carnet, cherchant le tatouage que je désire, j'ai déjà l'endroit en tête, il ne me manque plus qu'être sûre du dessin. Je trouve mon coup de cœur avec des motifs plutôt graphiques. Je fais plusieurs essais, avec un soleil, une lune, des flèches, des points, la carte du monde, en bref, tout y passe. J'en trouve un qui me plaît bien, et je le dessine avec un feutre noir, j'irai l'accrocher sur un de mes murs. Après plusieurs recherches sur ce sujet là, j'ai lu que le meilleur moyen de ne pas regretter était de regarder le dessin tous les jours pendant plusieurs mois, si on ne s'en lasse pas, c'est qu'on peut le garder plus de dix ans sans regretter. Le tout est de ne pas le faire sur un coup de tête. J'ai presque oublié aussi qu'il faut que j'en parle à ma mère aussi, même si elle ne pourra pas m'en empêcher, ce serait bien qu'elle soit au courant.