Chapitre 80.

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Je marche le long de ces couloirs sombres et étroits. Le vent me glace le sang et emmêle mes cheveux, je continue d'avancer dans cet endroit désert. Il n'y a personne aux alentours. Ça ressemble à un tunnel. Pas de lumière naturelle, juste des néons grésillants. Quelques affiches habillent les murs blancs par moment, puis verts, orange, bleus, blancs à nouveau. J'arrive dans ce que je pourrais appeler un hall, il n'y a toujours pas de fenêtre, pas de lueur du jour, et le vent s'intensifie dans l'espace vaste duquel découle plusieurs chemins. Je tourne un peu afin de me décider dans mon choix. J'en emprunte un, sans vraiment savoir pourquoi. Je monte des escaliers, en descends d'autres, m'engage dans des couloirs, parfois plus sombres, parfois plus étroits. Toujours personne à l'horizon.
Je pose ma main sur la poignée de la porte, ancrée dans le mur, en espérant qu'elle ne me résistera pas. Je l'ouvre facilement et me retrouve à l'extérieur. Je respire l'air frais de la nuit, j'avance dans le jardin qui se trouve devant moi. L'herbe mouillée chatouille mes pieds nus. N'avais-je pas mis mes chaussures ?
La Lune, entière, trône fièrement dans le ciel sombre. Elle dégage une lumière douce et très blanche, qui tranche avec le jaune sale des néons, assez forte pour que je puisse me repérer sans trop de difficultés. Je prends le temps d'observer la forêt autour de moi, il y a une maison, au milieu de ce terrain entouré d'arbres. Je n'ai pas vraiment le choix, je m'y dirige donc, évitant l'épaisse forêt qui me paraît lugubre et trop peu rassurante. J'entre par la grande porte principale après avoir monté quelques marches, je me rends compte une fois à l'intérieur que ce n'est pas juste une maison, mais un véritable palace. Bien que ce ne soit pas très propre, je me déplace dans cet immense palais. Je visite les pièces les unes après les autres, tout me paraît vieux, comme si ce lieu était abandonné depuis bien longtemps. Je ne me sens pas plus mal à l'aise que ça, malgré les couches de poussière et les toiles d'araignées qui habillent l'intérieur de fond en comble.
Ma visite se poursuit et je m'enfonce dans d'autres chambres, d'autres couloirs. L'atmosphère me paraît de plus en plus glauque. Je sens l'humidité sur les murs, la température chute. C'est comme si, il y avait du brouillard dans la demeure. La lumière est moins présente également, quelques ampoules s'éteignant par moment, assez espacées, accrochées au plafond. Je commence à trembler à cause du froid. Je croise les bras et essaie de me réchauffer en frictionnant ma chair de mes mains.
Mais une goutte de sueur traverse mon visage au moment où je m'arrête devant un miroir, posé là, au dessus d'une commode poussiéreuse, en marbre blanc. Je regarde le reflet en face de moi. Je ne peux que rester figée. Certes, c'est censé être ma figure que je devrais voir, pourtant je ne me reconnais pas. J'observe ma peau verdâtre par endroit, mes os du visage ressortants, mes yeux creusés, presque rentrés dans leur cavité, soulignés par mes cernes bleuies et violacées. Mon visage morne, que je peine à reconnaître. Je touche instinctivement mon profil, cherchant quelque part à me rassurer. Malheureusement mes doigts ripent sur une peau que je sens fripée, froide et rigide. Je baisse ma tête pour regarder cette fois-ci mes mains. Les lignes de celles-ci sont beaucoup plus creusées, je peux presque voir les os situés sous le peu d'épiderme qui les recouvre. La panique commence doucement à faire son chemin dans mon corps, je relève la tête d'un mouvement brusque. Je ne vois plus mon reflet dans le miroir. Juste des masses d'ombres noires qui gesticulent comme des algues bercées dans le fond de l'océan. L'ampoule située au dessus de moi éclate dans un bruit sourd. Je ne peux retenir un cri aigu, et me rendant compte que mes pieds ne sont pas ancrés dans le sol, je cours à travers les couloirs à la recherche de la sortie. Sans réfléchir, haletante, je me faufile à travers le bâtiment. Quand je me retrouve enfin dans le hall, je me dépêche d'aller ouvrir la grande porte d'entrée. Je tire de toutes mes forces, et arrive tant bien que mal à la faire bouger. J'allais me jeter dans l'herbe que j'ai traversée avec insouciance plus tôt, mais j'ai un mouvement de recul en voyant que la demeure est maintenant entourée d'une eau violente, soutenue par une pluie brusque dont les gouttes s'écrasent avec force. Je me retourne, cherchant une solution, comment je peux sortir d'ici ? C'est alors avec effroi que je me retrouve face à face avec une ombre qui arbore une apparence plus ou moins humanoïde. Je discerne une chevelure noire tombant en plein sur le visage de l'ombre, ne laissant apparaître qu'un œil, presque brillant, sans paupière, plus grand que la normale, avec une petite pupille noire en plein milieu. Un sourire éclatant et angoissant aux lèvres, qui sont d'ailleurs absentes. Je ne peux pas voir autre chose sur ce masque noir. Une longue robe noire flotte en dessous de cet effrayant profil, laissant juste apercevoir les avants-bras, poignets, et mains squelettiques de cette créature. Elle s'approche de moi lentement, avec sa démarche fantomatique. Je ne sais pas quoi faire. Mon cerveau s'est mis sur pause, je ne sens même plus mes membres trembler, ni la sueur froide qui a envahie mon dos depuis un bon moment. Je ne peux pas plus reculer à défaut de tomber dans l'eau profonde qui déferle derrière moi. L'ombre arrive finalement à mon niveau, sans quitter mon regard de son seul œil globuleux. Je sens ses mains de squelette se poser sur mon cou, en me serrant. J'essaie de me débattre mais rien n'y fait, je lui passe à travers alors qu'elle peut me toucher. Elle m'entraîne dans l'eau et je sens des décharges électriques traverser mon corps, dès l'instant où le bout de mes orteils touchent les flots. Des convulsions intenses me prennent tandis que le fantôme avance dans l'eau, me plongeant d'un coup au fond, d'un geste d'une violence et d'une force surhumaine. Je ne peux résister longtemps, le souffle déjà coupé par l'étranglement que la créature me fait subir. Je bouge dans tous les sens, faisant tout pour remonter prendre mon souffle à la surface. En vain.

Une fille aux cheveux bleus.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant