02- Lucky

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4407

Voilà déjà deux semaines qu'elle logeait chez Monsieur et Madame Branston. Le couple était aussi mal assorti qu'étrange. Monsieur était un hybride à la voix douce et au caractère plutôt calme. Son apparence n'était pas repoussante mais elle n'était pas avenante non plus, puisqu'il ne correspondait clairement pas à l'idée qu'on se ferait d'un citoyen modèle - fin, élégant et gracieux. Madame - la femme qui avait craché sur le sol quand elle était arrivée chez les Branston - était une vampire d'une centaine d'années qui ne mâchait pas ses mots et ne faisait montre d'aucune clémence en ce qui concernait les pauvres esclaves qui arrivaient par vagues successives chez elle.

Au début, Madame ne l'appréciait guère. 4407 s'était toutefois montrée serviable en cuisine au moment des repas - autant pour tromper son ennui que pour percer le mystère de cette haine invraisemblable - et Madame avait fini par lui adresser la parole au bout de sept jours, pour lui signifier autre chose que du mépris. Elle lui avait demandé comment elle était arrivée ici et ce qu'elle espérait de la vie. En quelques phrases brèves, la jeune fille avait conté sa vie à la maîtresse de maison, qui s'était prise d'affection pour elle.

"Je t'aime bien, ma foi., lui avait-elle dit. T'es pas comme toutes ces traînées qui essayent de faire du gringue à mon mari pour obtenir des faveurs ! Celles là, si je les choppe la main dans le pantalon, elles finissent dans ma soupe !"

4407 avait frémit en regardant la soupe au sang et au bélier bouillir dans la grande marmite en étain. La femme avait fini d'éplucher une pomme de terre et avait planté son couteau dans la planche en bois devant la jeune fille.

"Enfin, je dis ça, mais l'autre connard, il est pas mieux hein ! Tremper son biscuit avec des filles de douze voire dix ans, quel gros porc ... Je lui ai donné cinq beaux fils et voilà comment il me remercie !"

La jeune fille avait cligné des yeux, de stupeur. Monsieur Branston était-il vraiment comme cela ? Elle n'en revenait toujours pas. Même maintenant qu'elle était exposée, bien en valeur sur l'étal du marchand d'esclaves.

Ses journées n'étaient pas très fatigantes. On lui demandait de revêtir une de ses belles tenues, de s'asseoir sur un tabouret, sur la gauche de l'étal, et d'attendre qu'on lui pose des questions. Parfois, les jours de pluie où l'on était sûr que personne ne pourrait se permettre de l'acheter - monsieur Branston l'avait mise en vente à cent trente pièces d'or, quel arnaqueur ! - elle avait le droit d'aller lire à l'intérieur de la maison ou d'aider Madame à la cuisine ou à faire le ménage. Si elle n'était pas terrifiée à chaque fois qu'un homme posait son regard lubrique sur elle, 4407 aurait pu apprécier cette vie ...

Elle avait deux repas chauds par jour, même s'ils n'étaient pas très nutritifs, pouvait dormir sur un matelas presque propre et elle appréciait de plus en plus Madame. Elle avait le sentiment que c'était réciproque d'ailleurs. Elle avait entendu Madame et Monsieur se disputer à son sujet lors de la treizième journée. Ce dernier ne souhaitait pas la retirer de l'étal, persuadé qu'il pourrait en obtenir un bon prix bientôt, et sa femme souhaitait la garder auprès d'eux.

"Elle est débrouillarde, bien élevée et volontaire ! , disait Madame. Et tu sais bien que j'ai utilisé tous mes oeufs pour te donner des fils alors que je souhaitais une fille !"

Mais Monsieur était inflexible, même quand son épouse se mettait dans une rage folle et commençait à lui jeter des assiettes au visage. Même quand elle le traitait de tous les noms et menaçait de le tuer et de l'incorporer à sa soupe. Si elle était si malheureuse, 4407 se demandait bien pourquoi elle restait avec son mari. Mais peut-être n'avait-elle nulle part où aller ...

Lady Condé [ Ruthless Ravenwell - 1 ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant